LE NAUFRAGE DU
DRUMMOND CASTLE

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 VII - LES SAUVETEURS

Le sauveteur molénais de Godbolt et de Wood

Mathieu MASSON
patron du cotre “Couronne de Marie“ qui sauva Godbolt et Wood était alors âgé de 28ans.

Il avait pour équipage le matelot Théophile Marie Kerbérénès et le matelot François MASSON, dit “ Piqueur men“ (tailleur de pierres) originaire de Porspoder.


Mathieu MASSON recherchera l’épave du Drummond Castle et la découvrira à proximité de la roche Ar Melle Bihan (la petite jointure) en plein Fromveur, il recevra pour cette découverte une prime, versée par la Castle Line, qui lui permettra de financer le début de la construction de sa maison..
Étonnante coïncidence des dates, il mourut le 16 juin 1940 et son enterrement eut lieu le 18 date anniversaire du premier enterrement des noyés à Molène.

Un siècle après le naufrage, le 16 juin 1996 , deux arrières petits fils de Godbold vinrent à Molène (pour les cérémonies du centenaire du naufrage) et échangèrent avec Patrick Créac’h, arrière petit fils de Mathieu Masson, qui habite sa maison, les souvenirs de leurs ancêtres en relevant avec émotion que sans cette action de sauvetage, une telle rencontre n’aurait pas eu lieu… les deux anglais n’auraient pas été tout simplement de ce monde...

 

Mathieu Masson de Molène
Photo E.Mage Brest  ©The Graphic 01 Août 1986

 

Le patron Masson (Mathieu), de la barque Couronne de Marie, qui a sauvé les matelots Wood et Godbolt, est âgé de 28 ans. Il est marié et père de deux jeunes enfants. Il a de plus à sa charge une vieille tante infirme qui ne peut se livrer à aucun travail. Masson a servi dans la marine pendant 42 mois. Il y a environ neuf ans, à six milles à l'ouest de Molène, il a sauvé onze hommes en détresse dans un canot désemparé. Il a reçu à cette occasion un diplôme d’honneur de la Société de Sauvetage.
Comme le patron Berthelé, le patron Masson est un marin intrépide. Son équipage est composé de gars qui eux non plus, n'ont pas froid aux yeux. L'un d'eux Masson (François), est déjà titulaire d'un témoignage officiel de satisfaction qui lui a été décerné à la suite du dévouement dont il a fait preuve, le 10 octobre 1893 en se portant au secours de l'équipage de la Marie-Renée, en perdition dans le sud de l’île Balanec…

Le sauvetage de Wood et Godbolt ©The Penny Illustred Paper / Édition N°1831 du 27 Juin 1896

Le sauveteur ouessantin de Marquardt

Joseph BERTHELÉ
patron la barque “Marie-Louise“ qui sauva in extremis l'unique passager survivant, Charles Marquardt était alors un marin-pêcheur retraité ouessantin âgé de 61 ans.

Ce fameux jeudi matin, vers 10 h.30, M. Berthelé alla dans sa plate visiter ses casiers, quant à deux milles environ d'Ouessant il trouva M. Marquardt, cramponné à une pièce de bois. Non sans peine, il parvint à monter dans sa barque l'homme inconscient, ce qui ne lui facilitait pas la tâche. Voyant que le naufragé reprenait peu à peu connaissance, Berthelé décida de le ramener au plus vite à terre à la godille.
Soudain dans l'eau, non loin de M. Marquardt, Berthelé trouva le cadavre de la petite Alice Reed (2ans) qu'il recueillit, non sans une grandé émotion, dans sa barque. Reprenant sa route vers le port d'Ouessant, il découvrit alors le corps inerte de Mr Percy Ellis, le 4ème officier du Drummond Castle (compagnon d'infortune de Marquardt sur le radeau, qui selon ce dernier était mort vers 9h ce matin-là). À ce moment-là, Berthelé comprit qu'une catastrophe venait de se produire...
Sa frêle embarcation étant alors malheureusement surchargée, il alerta d'autres pêcheurs qui se trouvaient en pêche non loin de lui. Ceux-ci se rendirent aussitôt sur les lieux, mais, le patron Botquelin qui recueillit M. Ellis, ne put que constater son décès.
Arrivé à Ouessant, Berthelé fit conduire Marquardt chez lui, où sa femme et ses trois filles (Louise, Jeanne et Nicole) prirent grand soin du naufragé. Chez eux également, la pauvre petite Alice fut habillée d'un petit costume traditionnel ouessantin et allongée sur une table transformée en autel mortuaire. Ce jour-là, une fois informés de la catastrophe, beaucoup de ouessantins se rendirent chez Berthelé, veiller et prier pour la petite disparue.

Sources : ©La Dépêche de Brest et ©The Evening Express
Photo portrait : ©FT Brest (Collection personnelle Loïc Malgorn)

 

Le patron Berthelé (Joseph), qui a sauvé le passager Marquardt, est âgé de 61 ans et est originaire d'Ouessant. Il est marié et père de trois enfants. Après avoir servi quatre ans dans la marine de l'Etat, il a navigué au commerce pendant vingt-sept ans.
M. Berthelé n'est titulaire d'aucune médaille de sauvetage, ni d'aucun témoignage officiel de satisfaction. Cependant, il a accompli plusieurs actes de dévouement. Au Havre, notamment, il a sauvé un enfant d'une dizaine d'années, tombé dans l'un des bassins. A Bordeaux, il s'est jeté à l'eau pour porter secours à un patron de gabare tombé à la mer. Enfin, à Ouessant, un marin-pêcheur, entraîné à l'eau par un casier à homards, dont la corde
s'était enroulée autour de l'une de ses jambes, se serait infailliblement noyé sans son intervention.
Ce matin, à onze heures, à la demande de M. Bonar, vice-consul d'Angleterre, et des représentants des armateurs, M. Mage photographiera, à la pointe du Stiff, Berthelé dans sa plate.

Joseph Berthelé, le pêcheur ouessantin (photographié le 30 juin 1896, dans son canot devant le môle de Molène.)
Photo E.Mage Brest  ©The Graphic 01 Août 1986

 

Plusieurs articles de journaux nationaux et internationaux qui font le récit du sauvetage de Marquardt par le pêcheur Berthelé, affirme que Ellis était encore vivant et appelait au secours, quand les deux protagonistes passèrent en barque près de lui (et certains de rajouter que la barque de Berthelé était trop petite pour sauver Ellis!...), mais c'est absolument faux... Charles Marquardt donnera les véritables détails dans son récit :

Pensant que je pouvais avoir à passer une froide nuit en pleine mer sur un petit bateau, je mis mon pardessus et, par mesure de précaution, je passai une ceinture de sauvetage. A peine avais-je eu le temps de le faire, que le bâtiment coula et je coulai moi-même. Le bateau coulé, je saisis une traverse sur laquelle je m'assis. Sept ou huit personnes étaient près de moi. Parmi elles, était une femme qui, dans son effroi, me saisit par le cou. Je ne me défis pas de son étreinte et pus la monter sur la pièce de bois. Quand le jour parut, nous n'étions plus que trois, tous des hommes, moi: M. Ellis, le quatrième officier et un passager dont je ne connaissais pas le nom. M. Ellis s'efforçait de se tenir sur un grillage, et comme le courant le poussait sur nous, il l'attacha à notre pièce de bois, nous fournissant un radeau plus solide.
Avant cela, le passager inconnu avait épuisé ses forces. Il ne pouvait se cramponner plus longtemps. Il se souleva une ou deux fois et coula. Je le saisis par sa ceinture de sauvetage, mais il glissa et le malheureux disparut…
M. Ellis commença aussi à perdre l'espérance de se sauver. Il tâcha de se maintenir sur le radeau, car il s'y attacha. Je crois qu'il est mort vers neuf heures du matin. Vers ce moment, le courant tourna et la pièce de bois se détacha du grillage. Peu après, je vis un bateau de pêcheurs que je hélai de toutes mes forces, mais je n'eus aucune réponse. Je crois qu'à partir de ce moment j'ai perdu conscience de ce qui se passait, car je ne me rappelle plus rien, jusqu'au moment où j'ouvris les yeux et vis le brave pêcheur Berthelé, penché sur moi… »,

 VIII - MACABRES DÉCOUVERTES...

Quelques autres pêcheurs remarquables...

Pêcheurs molénais

Ce mercredi 17 Juin 1896, beaucoup de pêcheurs qui partaient à la pêche à la langouste, rencontrèrent également sur leurs routes, quelques caisses, du bois et autres épaves flottant à la surface de l'eau, qui attirèrent leur attention. Certains pêcheurs feront même ce jour-là et les jours suivants, de macabres découvertes... notamment le corps d'un bébé âgé d'à peine 1 an... Rien que pour cette journée du 17 juin, ce sont les corps de 14 hommes, de 3 femmes et d' un enfant qui sont acheminés vers Molène... Les corps furent entreposés temporairement dans un magasin sur le quai. Voici quelques pêcheurs que l'on peut citer :

Source : ©La Dépêche de Brest du 19 Juin 1896 et détails de Jean Maout

 

  • Le patron Théophile Le Bras, le matelot Arsène Marie Caïn et le novice Auguste Marie Cariou, de "l'Augustine",
    découvrirent un premier cadavre, un homme d'une trentaine d'années flottant sur le dos parmi des débris.
    A l'aide de ses équipiers, ils remontèrent le malheureux à bord. Il était vêtu d'un caoutchouc et avait une bouée de sauvetage autour du corps, ils remarquèrent que la montre qui dépassait de sa poche indiquée...11heures et 1 minute... sans aucun doute, l'heure du naufrage!
    Peu après, sur leur route ils découvrirent à nouveau 2 cadavres d'hommes du même âge, à demi vêtus.
    (Le Bras et son équipage se mirent alors à héler les autres bateaux disponibles dans le secteur pour les aider dans leurs macabres recherches)
  • Le patron Auguste Tual, le matelot Paul Marie Masson et le matelot Eugène Tanguy, du "Courrier de Sainte-Anne",
    découvrirent le corps d'un homme, vêtu de noir et tatoué sur les deux poignets la lettre L, avec le chiffre 1 et un point. Wood et Godbolt reconnaitront plus tard le cadavre à Molène. C'était celui de H. Liddle, le second-boulanger.
  • Le patron Jean Étienne Le Mao (dit "Yann"), le matelot Louis Creac'h, le matelot Auguste Alexandre Masson et le mousse Victor Créac'h, de la "Notre-Dame-de-la-Garde",
    découvrirent deux cadavres d'hommes et celui d'un enfant d'un an environ, en chemise.
  • Le patron Pierre Marie Masson, le matelot Julien Tanguy, du "Joseph Marie",
    ramenèrent deux cadavres d'hommes et celui d'une femme âgée de trente ans environ. Celle-ci vêtues uniquement d'une chemise et d'un caleçon.
  • Le patron Arsène Marie Le Bras, le matelot Jean-François Cuillandre, le matelot Louis Cuillandre et le mousse Alexandre Ballut, de la "Marie",
    trouvèrent une femme de 30 à 40ans, en robe de chambre et nu-pieds.
  • Le patron Vital Marie Kériel, le matelot François Marie Luneau et le mousse George Henry Omnès, de la "Jeanne Hortense",
    trouvèrent le corps de deux deux hommes de moins de 35 ans à la barbe rousse. (quelques années plus tard hélas, le patron Vital Kériel périra noyé, dans les mêmes parages).
  • Le patron Gabriel Podeur (dit "Cabit") le matelot Joseph Marie Cuillandre, le matelot Marcien Cuillandre et le novice François Marie Podeur, du "Séraphique et Marie",
    trouvèrent le corps d'un homme de 35ans environ. C'était le corps de Mr Reed (le père de la petite Alice)
  • Le patron Mathieu Dubosq, le matelot René Marie Dubosq, le matelot Pierre Émile Marec et le mousse Aristide Marie Le Bousse, de la "Marie-Philomène",
    trouvèrent le corps d'une femme de 24 ou 25ans. Elle était brune, on aurait pu croire que c'était une Française. Elle était vêtue d'une robe de soie et d'un tricot des colonies (marqué H). Elle portait à l'annuaire gauche une alliance en or, et dans une poche, elle avait enroulé dans un mouchoir, 6 Livres Sterling.

Avec les autres pêcheurs molénais suivants, ce sont 30 corps au total qui auront été retrouvés et ramenés à Molène :
-Le patron Auguste Alexandre Masson, le patron René Marie Masson, le matelot Alfred Masson, le matelot Maurice Omnès, le mousse Urbain Bidan, le mousse Jean Zacharie Créac'h, le mousse Marcel Henri Masson, des "Deux Soeurs" à Molène.
-Le patron Ambroise Ballut, le matelot Bienaimé Omnès,le mousse Jean Marie Monot, le novice Ambroise Marie Gouachet, de l' "Esmeralda" à Molène.
- Le patron Nicaise Rocher, le matelot François Auguste Créac'h, le matelot Theophile Marie Cariou, le novice Julien Ernest Dubosq, de la "N.D de BonSecours" à Molène.
- Le patron César Marie Kériel, le matelot François Cuillandre, le matelot Noël Marie Masson, le mousse Paul Desiré Cuillandre,de la "Reine des Anges" à Molène.
- Le patron Jean-Marie Cariou, le matelot Jean-Joseph Cariou, de la "Marie Jeanne" à Molène.
- Le patron Jean Marie Masson, le matelot Julien Delarue, le mousse Sylvestre Marie Monot, du "Dieu protège les 2 frères" à Molène.
- Le patron Ambroise Marie Dubosq, le matelot Bienaime Omnès, le matelot Guillaume Marec, le novice Yves Marie Squiban, de la "Marie Joséphine" à Molène.
- Le patron Édouard Dubosq, le matelot Jean François Masson, le novice Ernest Jean Marie Masson, du "Saint Jean" à Molène.
- Le patron Mathieu Dubosq, le matelot René Marie Dubosq, le matelot Pierre Émile Marec, le mousse Aristide Marie Le Bousse*, de la "Marie Philomène" à Molène.
- Le patron Cyprien Masson, le mousse Esprit Masson, le novice Fiacre Marie Masson, de l'"Amélie" à Molène.
(*) Aristide Le Bousse alors âgé de 14 ans, épousera plus tard la jeune sœur de Mathieu MASSON, Marie-Anne...

 

Extrait du résumé complet de Jean Maout que vous pourrez retrouver plus bas : 

(...)La flottille rentre au port de Molène où la consternation des îliens grandit au fur et à mesure des débarquements. Le maire, Victor Masson, et le recteur, Guillaume Le Jeune, organisent la réception des corps, qui sont regroupés dans le café de la veuve Séraphique Cuillandre, actuelle maison de Nono Cuillandre, à proximité immédiate du port.

Le secrétaire de mairie, M. Labitte, et le syndic des gens de mer, M. Colin, attribuent à chaque cadavre un numéro et relèvent les particularités de chacun, aux fins d’identification future. Le maire, Victor Masson, Séraphique Cuillandre, Edouard Dubosq, Théophile Le Bras, Auguste Tual, Paul Masson, procèdent à la toilette mortuaire des corps, que les hommes cousent ensuite dans des draps en guise de linceuls. Quatre corps sont exposés sur une table au rez-de-chaussée d’un magasin attenant à l’établissement de la veuve Cuillandre et treize à l’étage ; à la tête de chaque corps est placé un crucifix et des bougies sont allumées. Madame Séraphique Cuillandre prend un soin tout particulier du corps de l’enfant, qu’elle place dans sa chambre, dans un berceau garni de fleurs.
Tout au long de la journée et toute la nuit, les Molènais veilleront les morts, à tour de rôle, dans la pure tradition chrétienne, îlienne et bretonne.
(...)

Pêcheurs ouessantins (8 corps découverts au total)

Parmi les autres cadavres découverts par les pêcheurs ouessantins ce jour-là :

  • Le corps de Mr Ellis - 4ème officier, par le patron Jacques Botquelen, le matelot Noël Paul Stéphan, le novice Jean Nicolas Bon, du "Saint-Jacques"
  • Le corps du passager Walter Whipp, a été retrouvé par le patron Jean Marie Riou, le matelot Prudent Nevenez, le novice Daniel Marie Cornen, du bateau pilote "N°3"
  • Le corps du passager Harry Cohen, par le patron Jean-Marie Caïn, les matelots Louis Caïn, Jean-Marie Morvan de la "Joséphine"
  • Le corps d'un mécanicien, par le patron Paul Fouesnant, le matelot Jean-Michel Lamalis, des "Trois Amis"
  • Le corps de Miss McGee par le patron Louis Toulau, le novice Paul Nicolas Tual du "Nicolas".
  • Un corps, retrouvé par le pêcheur François Marie Le Guen
  • (fin juin) Le corps en décomposition d'un homme par le pêcheur Fitamant, tout proche du lieu du sinistre. L'homme assez grand, portait une montre en or sur laquelle on pouvait lire "A.S".

 

Les autres corps retrouvés (sur plusieurs jours après la catastrophe)

À MOLÈNE (30 corps retrouvés au total)

  • Le patron Guillerme Masson de "L'Ernestine", trouva le corps d'un homme dans l'ouest de Molène

A PORTSALL/PLOUDALMEZEAU/PORSPODER (12 corps retrouvés au total)

  • Le corps d'une femme âgée d'une trentaine d'années retrouvé par le patron Auguste Gouzien, le matelot François Gouzien, du "Castor" à Portsall.
    La femme avait une cicatrice à la lèvre supérieure.
  • Le corps d'un homme a été trouvé le patron Hervé Le Borgne, le matelot François Le Borgne, le matelot Jean Briant, le mousse René Cadalen, du "Hoche" de Portsall, à hauteur de landunvez. Il était vêtu d'un uniforme bleu marine, l'une des manches de la veste portant deux chevrons, surmontés de deux ancres d'or et d'une couronne, et l'autre d'une abeille d'or et d'une étoile d'argent.

Les autres pêcheurs de Portsall suivants :
Le patron Jean-François Pallier, le matelot Joseph Abiven, du "Préon" à Portsall
Le patron Hervé Pellen, le matelot Goulven Louedge, du "H.P" à Portsall
Le patron François Marie Oulhen, le matelot Jean Amédée Bramoulé, le matelot Jean-Marie Prigent, le mousse Auguste Arzel, du "Coq" à Portsall
Le patron Pierre Corolleur, le matelot Emile Corolleur, du "Borda" à Portsall
Le patron Yves Daouben, le novice Joseph Le Guen, du "Pacifique" à Portsall
Le patron Joseph Le Borgne, le matelot Pierre Perhirin, le matelot Jean Marie Garo, du "Daïc" à Portsall
Le patron Yves Salou, le matelot Joseph Salou, le matelot Alexandre Salou, le mousse Auguste Salou, du "Saint-Joseph" à Portsall
Le patron Jean Salou, le matelot François Salou, du "Gendarme" à Portsall

ont été bien braves de retrouver :

  • Le corps du chef ingénieur du bord, Mr H. Eyre, dans sa veste d'uniforme avec 2 galons. (On croyait lire H.EYTG sur le marquage de sa veste)
  • Le corps de Mr P. Kingswell - Officier de la Marine d'état. Sur lui, une lettre de sa femme, des photos et la liste en double de tous les paasagers !
  • Le corps d'une femme (sans doute) Mme Lucas
  •  Le corps de Mme Mc Lean (E.M.L brodé sur vêtement)
  •  Le corps d'une femme âgée de 35 ou 40ans à la chevelure rousse (portait une alliance)
  • Le corps de Mr E.W.Rich. 1.85m... Son nom était brodé sur son mouchoir.
  • Le corps d'une petite fille d'une dizaine d'années
  • Le corps d'un petit garçon de 12 ou 14ans.
  • (début juillet 1896) Le patron Brénéol (Vincent), de Trémazan, trouva le corps en décomposition d'un homme assez grand, un tatouage basique à chaque poignet...
  • (mi-juillet 1896) Le corps (impossible à identifier) d'un homme à la chevelure rousse claire.

AU CONQUET

  • Le corps de Mr Howard - Jeune Marin d'état, par le patron Magloire Le Bousse, le matelot Marcien Cuillandre, le matelot Jean Dance, du "Frère et soeur"
  • On trouva aussi le corps de deux hommes de 35 et 25ans environ. Les deux étaient juchés sur une table de cuisine du Drummond-Castle, venue s'échouer à la côte...

A l'ABER-BENOÎT

  • Le patron François Pallier, le matelot Guillaume Goachet, le matelot François Thomas,  le matelot Yves Bléas, du "Janus" à Saint-Pabu, trouvèrent le corps de Nelly Peachey. (inhumée à St Pabu)

A CAMARET

  • Le patron Auguste Kerspern, de "L'Oiseau des Tempêtes" à Camaret, trouva le corps d'un jeune garçon de 12ans environ. (Bien habillé... avec des pièces de monnaie espagnole dans la poche)
  • Le patron Etienne Marie Vigouroux, du "Saint-Étienne" à Camaret, trouva le corps d'un homme d'une quarantaine d'années. Sur ses chaussettes, les initiales P. K.

Les pêcheurs et les habitants ayant retrouvé tous ces cadavres, seront plus tard, également remercié de leur dévouement par la remise de gratifications et de médailles offertes par la Reine Victoria... Voir plus bas.

(...)
La mer rendra-t-elle tous les cadavres engloutis avec le Drummond-Castle ? En attendant que de nouvelles épaves funèbres viennent s'échouer sur nos grèves ou soient recueillies par nos pêcheurs, il n'est pas sans intérêt de dresser le bilan des corps retrouvés.
Jusqu'ici, 50 cadavres1 sur 248 ont été recueillis : 30 à Molène ; 9 à Porspoder ; 6 à Ouessant ; 4 au Conquet ; 1 à Saint-Pabu.
Les corps dont l'identité a été établie sont ceux de MM. F. W. Whipp, W.W. Whipp, Gethen, Donaldson, Blinkhorn2,
Mason, Platt, (Din Cécile ?), (Bouyer ?)3, Miss Freda McGee, Mme Frances Mary Sandbach, MM. Herbert Hinds, Bradshaw, Liddle, Mlles Olive, Nellie Peachey, MM. EYTG4, Harry Cohen, Stephens5.
Cette reconnaissance a été effectuée à l'aide d'indices trouvés sur les cadavres, tels que : bijoux, marques de linge, etc… Ont été également reconnus par des parents : Mlle Reed Alice, MM. Reed Harry et Howard.

  1. Chiffre communiqué au 29/06/1896, mais bien d'autres seront retrouvés les jours suivants...
  2. Blinkhorn = c'est le 147ème passager qui a embarqué au dernier moment et qui de ce fait, ne figure pas sur la liste des enregistrements.
  3. Din Cécile / Bouyer = comme l'écrit le reporter, ce ne sont que des indices retrouvés sur les cadavres, souvent des inscriptions de vêtements, mais cela ne prouve en rien les identités des péris. De plus, ces noms ne figurent pas sur la liste d'embarquement. A moins que parmi ces noms, se trouvent la gouvernante et la servante inconnues?...
  4. EYTG = Il s'agit en fait de Mr H.Eyre, le chef ingénieur du bord, retrouvé avec sa veste d'uniforme 2 galons au large de Portsall.
  5. STEPHENS = le corps retrouvé à Ouessant et... inhumé là-bas, était en fait celui de Mr Stevens Julian.

Une délicate mission sera confiée à Mr Bertillon, chef du service de l'identité judiciaire (service anthropométrique) à la préfecture de police de Paris, accompagné de son agent Dubois, il devra photographier et mesurer tous les cadavres retrouvés et dresser des procés-verbaux qui seront remis aux autorités et aux familles. Arrivés à Brest le 20 Juin, d'éxhumation en éxhumation, ils se rendront dans tous les cimetières acomplir leur macabre devoir jusqu'au 24 Juin, date de leur départ. Il est en effet jugé impossible, étant donné l'état de putréfaction dans lequel se trouveront les cadavres qui seraient désormais recueillis, que leur photographie et leur mensuration deviennent suffisantes...

Les Molénais et le Naufrage du « Drummond Castle » (Par Jean Maout)

Pour être plus complet : Comment la catastrophe a été vécue par la population? Quels ont été les protagonistes de ce dévouement sans précédent? Lisez ceci :

Lire le résumé complet de Jean Maout (cliquez pour ouvrir ou fermer)

Les Molénais et le Naufrage du « Drummond Castle »
Les îliens, ouessantins et molénais, ont été unanimement célébrés pour les soins apportés par eux aux naufragés du « Drummond-Castle », qui s’est éventré le 16 juin 1896, à 22h.58, sur les roches des « Pierres vertes », à l’Ouest de l’île Molène, à l’entrée du « Fromveur », côté Atlantique.

Ce matin du 17 juin 1896, lorsque Mathieu Masson, patron du bateau de pêche « Couronne de Marie », quitte le port de Molène pour aller relever ses casiers à langoustes mouillés dans les parages du Stiff, à l’Est de Ouessant, à la sortie du Fromveur, il n’imagine pas ce qu’il va découvrir ; arrivé sur les lieux de pêche, il aperçoit, sortant de la brume, à environ un mille, deux hommes à demi nus à cheval sur une épave appelant au secours. Il les prend à son bord, les réconforte, leur donne des vêtements secs –une partie des siens et de ceux de ses deux matelots- et les ramène à Molène. Les deux naufragés ne parlent pas un mot de français et encore moins de breton, les deux seules langues que pratique Mathieu Masson. Ils donnent leur nom, en pointant leur index sur leur poitrine: Charles Wood et William Godbolt, mais ne réussissent pas à se faire comprendre sur l’importance du drame qu’ils ont vécu au cours de la nuit.

Arrivés au port, ils sont réconfortés dans le café de la veuve Séraphique Cuillandre, qui, pendant deux jours, sera transformé en centre d’accueil ; habillés de vêtements chauds, ils sont embarqués immédiatement sur un bateau de pêche pour le Conquet, afin être remis au commissaire de l’inscription maritime, M. Carron, les molénais ayant conscience de l’urgence qu’il y avait à éclaircir les circonstances du drame vécu par les deux hommes. Les deux rescapés réussiront à se faire comprendre de M. Carron, qui préviendra la préfecture maritime ; ce n’est donc qu’au retour de la barque de pêche, dans l’après-midi, que les molénais apprendront toute l’étendue de la catastrophe.

Il paraît difficile de croire, aujourd’hui, que les molénais ne se sont doutés de rien pendant une grande partie de la journée du 17 juin. Il faut se rappeler que le seul moyen de communication rapide était alors le télégraphe morse et, à Molène, il était en panne depuis plusieurs semaines. Au sommet de l’île, il y avait bien un mât permettant d’émettre des signaux par temps clair, mais il ne sera d’aucune utilité en raison de la brume persistante tout au long de la journée; le sémaphore
ne sera construit qu’en 19O8. On m’a raconté, dans mon enfance, qu’une clameur venant de l’Ouest de l’île avait été entendue par des femmes rentrant d’une veillée, épouvantées elles n’auraient rien dit craignant d’être prises pour folles ; je ne crois pas à la véracité de cette allégation qui m’apparaît être une reconstruction imaginaire relevant du récit légendaire … nul doute que les découvertes macabres ont dû frapper les imaginations et qu’avec le temps les faits ont été reconstruits au gré des narrations. Aujourd’hui encore, il n’est pas rare que soit soutenu, avec force, que le corps du commandant Pierce est enterré dans le cimetière de Molène ; c’est une confusion avec un autre naufrage plus tardif ; le corps du commandant du « Drummond Castle » n’a jamais été retrouvé, sans doute est-il toujours dans la carcasse du navire.
L’alerte est donnée de Ouessant par un naufragé, Charlie Macqardt, recueilli dans la matinée par un pêcheur ouessantin, Joseph Berthelé. Le phare du Créac’h dispose d’un télégraphe en état de marche et son guetteur en chef a des rudiments d’anglais ; Macquardt prévient sa compagnie, à Londres, du naufrage, en précisant qu’il est le seul survivant, ce qui révèle qu’il n’y a eu aucune communication avec Molène au cours de la matinée.

Le matin du 17 juin, les pêcheurs molénais vont donc partir, les uns après les autres, relever leurs casiers à langoustes, sans se douter de la tragédie qui s’est déroulée la veille au soir; dans l’Ouest-Sud-Ouest de l’île , ils vont rencontrer un grand nombre d’épaves et comprendre qu’ils se trouvent en présence d’un important naufrage, mais ils sont encore loin d’en concevoir l’ampleur . Personne n’imagine qu’il s’agit d’un navire à passagers.
Sortant de la brume, les pêcheurs vont apercevoir des corps flottant à la surface ou accrochés à des épaves.
C’est d’abord le patron Théophile Le Bras, de l’ « Augustine », qui repêche le premier cadavre, une bouée de sauvetage autour du corps, il flotte sur le dos. C’est un homme jeune, trente-cinq ans environ, de forte constitution, portant au doigt une alliance en or et dans son gilet une montre en argent, arrêtée à onze heures et une minute, heure qui s’avèrera être l’heure du naufrage, selon les témoignages des trois survivants, à trois minutes près, ce qui révèle que le navire a coulé rapidement.
Peu après, Théophile Le Bras repêche deux autres corps d’hommes, âgés de trente à trente-cinq ans. Il regagne l’île aussitôt après avoir alerté les autres pêcheurs, qui, à leur tour, vont faire de macabres découvertes.
Auguste Tual, du « Courrier de Sainte Anne », repêche un homme présentant deux tatouages sur les poignets.,
Jean Etienne Mao, dit « Yann », du « Notre Dame de La Garde », repêche deux hommes et un enfant d’un an environ, en chemise de nuit.
Hyacinthe Masson du « Joseph Marie » repêche deux hommes et une femme jeune, de moins de trente ans.
Arsène Le Bras de la « Marie » repêche une femme d’une trentaine d’années en robe de chambre et pieds nus.
Vital Kériel de la « Jeune Hortense » repêche deux hommes de moins de trente-cinq ans à la barbe rousse (quelques années plus tard il périra noyé dans les mêmes parages).
Gabriel Podeur, dit « Cabit », du « Séraphique et Marie » repêche un homme de trente-cinq ans environ.
Mathieu Dubosq de la « Marie Philomène » repêche une jeune femme, qui n’a pas plus de vingt-cinq ans ,vêtue d’une robe de soie et d’un tricot, elle est brune et porte une alliance en or ; six livres sterling sont enroulés dans son mouchoir brodé de la lettre H.
La flottille rentre au port de Molène où la consternation des îliens grandit au fur et à mesure des débarquements. Le maire, Victor Masson, et le recteur, Guillaume Le Jeune, organisent la réception des corps, qui sont regroupés dans le café de la veuve Séraphique Cuillandre, actuelle maison de Nono Cuillandre, à proximité immédiate du port.

Le secrétaire de mairie, M. Labite, et le syndic des gens de mer, M. Colin, attribuent à chaque cadavre un numéro et relèvent les particularités de chacun, aux fins d’identification future. Le maire, Victor Masson, Séraphique Cuillandre, Edouard Dubosq, Théophile Le Bras, Auguste Tual, Paul Masson, procèdent à la toilette mortuaire des corps, que les hommes cousent ensuite dans des draps en guise de linceuls. Quatre corps sont exposés sur une table au rez-de-chaussée d’un magasin attenant à l’établissement de la veuve Cuillandre et treize à l’étage ; à la tête de chaque corps est placé un crucifix et des bougies sont allumées. Madame Séraphique Cuillandre prend un soin tout particulier du corps de l’enfant, qu’elle place dans sa chambre, dans un berceau garni de fleurs.
Tout au long de la journée et toute la nuit, les Molénais veilleront les morts, à tour de rôle, dans la pure tradition chrétienne, îlienne et bretonne.
Mais, lorsque les bateaux de pêche débarquent les premiers corps des noyés le matin du dix-sept juin, le temps des prières n’est pas encore venu. Le recteur, Guillaume Le Jeune, qui n’oublie pas qu’il est aussi président de la société de sauvetage, décide de lancer le canot de sauvetage l’ « Amiral Roussin » ; or, les hommes valides sont à la pêche ; pour tirer le canot de son abri jusqu’à la mer, qui est basse, le recteur fait appel aux femmes de l’île, qui, sous la direction de Marcel Le Bousse, maître de port, n’hésitent pas à entrer dans l’eau jusqu’à mi-corps pour pousser le chariot jusqu’à la flottaison du canot à rames dans le port et ,vers onze heures , « le Roussin » avec douze volontaires et son patron Jean René Masson part explorer les parages de l’île ; il rencontrera beaucoup d’épaves mais pas de corps de noyés ; il rentrera au port en fin d’après-midi, les rameurs ayant été jusqu’à l’épuisement de leurs forces.

Le soir ,le recteur Le Jeune ira bénir les corps chez la veuve Séraphique Cuillandre ,mais, la maison de cette dernière étant trop petite pour recevoir tous les molénais, les prières mortuaires seront dites à l’église.

Les enterrements sont fixés au lendemain, le dix-huit juin, à dix heures ; quatre marins pêcheurs, Tual, Podeur, Mao et Ordonneau, se portent volontaires pour creuser les fosses, dès deux heures du matin; quatre fosses purent être creusées dans le cimetière paroissial et furent affectées aux trois femmes et à l’enfant, les autres durent être creusées, à proximité, sur la place de l’église et furent réservées aux hommes.
Il ne faut voir là aucune volonté discriminatoire. à l’égard d’anglais réputés de confession protestante ; contrairement au recteur de Ouessant, qui aura quelques scrupules , le recteur Le Jeune, ancien militaire qui avait fait la guerre de 1870, avait été très ferme : « tous fils de Dieu dans le malheur », Le cimetière était plein ; il faut rappeler que trois ans plutôt, l’île avait été victime du choléra ,qui, en quinze jours, avait fait quarante-quatre victimes et porté la mortalité dans l’île, qui comptait cinq cent quatre-vingt-cinq habitants, à soixante et onze décès pour la seule année 1893, contre une moyenne annuelle de quatorze sur les dix dernières années.
L’île ne disposant pas assez de bois , seuls les corps de l’enfant et des trois femmes furent placés dans des cercueils, les corps des hommes furent enveloppés dans des toiles à voiles.
A dix heures, le recteur Le Jeune, accompagné par les enfants de chœur et les chantres -- des pêcheurs réputés pour leur voix qu’on appelait aussi « les entonneurs »-- procéda à la levée des corps ; les îliens s’étaient groupés devant la maison de Séraphique Cuillandre. Après la bénédiction des corps, le recteur, précédé d’un homme portant la croix et suivi des enfants de chœur et des chantres, prit la tête du cortège en direction de l’église, venaient ensuite les corps des noyés portés, chacun, sur une civière, chaque homme par six marins, chaque femme par six femmes, deux femmes portant le petit cercueil de l’enfant, suivis par le maire et le conseil municipal au grand complet, puis la foule recueillie des îliens.

Les témoins de ce cortège funèbre furent frappés par son « imposante simplicité » ; le silence n’était rompu que par la psalmodie des prières en latin chantées d’une voix forte par le recteur et les répons des chantres ; la tristesse de la scène était accentuée par la cloche de l’église sonnant le glas. Le cortège s’étirait dans les rues étroites de l’île, si bien que la tête du cortège était arrivée à l’église alors que de nombreux îliens n’avaient pas encore quitté le port. Il était impossible que l’église puisse contenir une telle foule. Contrairement à la tradition, qui veut que l’office funèbre soit célébré en présence du corps, le recteur décida de changer l’ordre de l’enterrement : il bénit les fosses et les corps y furent aussitôt déposés, puis il célébra l’office des morts dans une église qui ne put contenir tous les îliens, une partie resta debout, silencieuse, autour des fosses pendant toute la cérémonie, alors que les chants en latin et les cantiques bretons résonnaient dans l’église. Le recteur, dans une allocution en breton, félicita les molénais pour leur sollicitude à l’égard des naufragés, dans le plus pur respect de la tradition îlienne.
Dans l’après-midi, Guillaume Masson, patron de l’ « Ernestine », ramena encore le corps d’un homme jeune, âgé d’environ trente-cinq ans.

Le lendemain, 19 juin , le vapeur « Le Cotentin » appareilla de Brest pour Ouessant, ayant à son bord le vice consul d’Angleterre à Brest, M. Bonar, les représentants de la « Castle Line » , des parents des victimes arrivés la veille de Londres et Godbolt et Wood. Ouessant avait retardé l’inhumation des corps dans l’attente de l’arrivée des anglais.
Les cérémonies achevées, « Le Cotentin » reprit la mer et s’arrêta à Molène, vers dix-huit heures, les anglais tenant à se recueillir sur les tombes de leurs compatriotes et à saluer les molénais. Le vice consul , les représentants de la compagnie de navigation ,et des parents des victimes, sont accueillis à leur débarquement, par le maire et le recteur, qui leurs font part des problèmes posés par l’afflux des noyés et leur impossibilité d’enterrer d’autres corps dans le cimetière ; depuis la veille, dix nouveaux corps ont été trouvés : sept hommes,une femme,une jeune fille ,un enfant ; la seule solution pour leur donner une sépulture décente serait de les ensevelir sur l’île voisine de Lédénes. Cette solution recevra l’accord des anglais ; si elle a été effectivement retenue, je trouve étonnant qu’aucun muret de pierres n’ait été élevé pour marquer le lieu des inhumations, comme cela a été fait à sur l’île de Trielen pour enterrer les victimes du choléra, trois ans plus tôt. Je suis persuadé que ces dix nouveaux cadavres ont encore été enterrés sur la place de l’église, et on obtient ainsi un chiffre proche de celui mentionné sur la plaque de cuivre apposée dans l’église. Il est certain qu’au fil des jours suivants, des corps, en état de décomposition avancée, ont été enterrés sur Lédénez ou en haut des grèves.
L’émotion sera à son comble lorsque le vice consul sera averti que, Gabriel Podeur, patron du « Séraphique et Marie », vient de ramener le corps d’un autre noyé, sur lequel on a découvert des papiers, délavés certes mais lisibles, au nom de Reed., le même nom que celui de la petite fille enterrée à Ouessant, Alice Reed. Le vice consul sait qu’un des anglais qui l’accompagnent, s’appelle Reed et qu’il est à la recherche de son frère, qui avait embarqué à bord du « Drummond Castle » avec
sa jeune femme et son enfant ; il le fait chercher et celui-ci reconnaît son frère. Le corps est immédiatement apprêté par les molénais, cousu dans un drap et embarqué à bord du « Cotentin » pour son rapatriement en Angleterre.
Dans toute cette tristesse, il y eut aussi un moment de joie, lorsque les deux rescapés, Godbolt et Wood, débarquèrent du « Cotentin » et furent reconnus par les molénais, qui les avaient sauvés et réconfortés. Ils purent, cette fois, exprimer aux îliens leur reconnaissance avec l’aide du vice consul qui servait d’interprète.
Dans les jours qui suivirent de nombreux corps furent repêchés en mer ou vinrent s’échouer à la côte ; la comptabilité n’a pas été tenue et bien des chiffres fantaisistes ont été avancés. Je n’ai pu établir le nombre de corps rapatriés en Angleterre ; ce qui est certain, c’est que le cimetière, dit « des anglais », contient encore aujourd’hui, 29 corps, ce qui est plus que le nombre des noyés trouvés les deux premiers jours, mais bien moins que le nombre estimé des corps ramenés à Molène. Je n’ai pu établir le nombre de corps enterrés sur Lédénez.
Je n’ai trouvé aucun décompte précis des noyés qui ont fait l’objet des soins attentifs des molénais ; la charité chrétienne interdisait d’ailleurs un tel décompte ; ils ont été nombreux et certainement pas tous enterrés sur l’île ; il est vraisemblable qu’un service de rapatriement des corps ait été mis rapidement en place par les autorités maritimes et la compagnie de navigation. « Castle Line »
Pendant des semaines, la mer déposera des corps dans les grèves de Molène, Ouessant et sur toute la côte du continent, de Camaret à Portsall et même à Plouescat. Sur les 248 victimes du naufrage, combien trouveront une sépulture chrétienne ? Certainement moins d’une centaine.
L’écrivain Louis Le Cunff, pour préparer son ouvrage « S.O.S. dans l’Atlantique », est venu enquêter à Molène en 1955; il raconte qu’un vieux molénais, dont il ne donne pas le nom, qui avait douze ans en 1896, se souvenait « d’avoir repêché des cadavres de femmes dont les mains étaient crispées sur des touffes de leurs propres cheveux » ; les cadavres arrivaient par grappes, enlacés les uns aux autres, une femme serrant toujours contre elle ses deux enfants âgés de cinq à six ans, deux hommes et une femme étroitement attachés ensemble par un filin … J’ai moi-même entendu mon grand-père, Aimable Delarue, qui avait trente-sept ans lors du naufrage, raconter que dans la grève de Porz Renan une femme, très belle, en robe du soir ornée de ses bijoux, avait été trouvée enroulée de goémon, serrant si fort son bébé dans ses bras qu’il a été impossible de la séparer de son enfant, ils ont été enterrés ensemble.
L’émotion et le dévouement des molénais ont été à la mesure de ces macabres découvertes révélant l’intensité du drame vécu par les passagers du «Drummond Castle»

La presse, nationale et internationale, rendit compte du drame en saluant l’exceptionnelle sollicitude des îliens. La reconnaissance des anglais fut à la hauteur de celle-ci. L’ambassadeur de la Grande Bretagne à Paris vint sur place, au cours du mois de décembre, pour remercier les îliens et leur remettre des dons, qui sont bien connus, mais aussi des décorations, qui doivent encore se trouver dans les familles molénaises, dispersées au gré des héritages. Dans mon enfance, il y avait chez mes parents une décoration remise à ma grand-mère, Célestine Goachet, pour son dévouement ; la figure de Séraphique Cuillandre a été retenue justement par l’histoire, mais bien d’autres molénaises ont été exemplaires, comme cette autre femme, dont le nom est oublié, qui n’hésitera pas à tirer les draps de son lit pour confectionner des linceuls.
Comment comprendre une telle attitude collective ?
Il est insupportable, pour un îlien, qu’un corps ne fasse pas l’objet d’une toilette mortuaire et qu’il soit enseveli en contact direct avec la terre. Pour bien comprendre les motivations des molénais, il faut aussi prendre en compte qu’un noyé n’est pas un mort comme les autres. La mort par noyade est une crainte permanente pour une population vivant de la mer, lieu de tous les dangers, qui n’est que depuis peu une source de loisirs. On rapporte, qu’une vieille sénane répliqua à une touriste, qui s’étonnait que les tombes du cimetière portaient surtout des noms de femmes, « le raz de Sein est le cimetière des hommes » …

Les îliens à Ouessant, mais aussi à Molène, ce qui est moins connu, ont conçu la cérémonie du « Proëlla » (qu’il faudrait écrire « Broëlla »), le retour au pays , qui a été décrite par l’écrivain Joseph Cuillandre, originaire de Molène; dans l’attente de retrouver le corps du disparu en mer , les prières des défunts étaient récitées dans la maison du disparu ,devant sa photographie ; à Ouessant son corps était symbolisé par une petite croix en cire portée ensuite en terre par toute la population, tant il était insupportable ,et c’est toujours vrai, d’imaginer le corps d’ un marin sans sépulture, malmené par les flots.

L’ampleur de la catastrophe ne pouvait aussi que frapper les esprits : 148 passagers avaient embarqué sur le « Drummond Castle », qui comptait 103 hommes d’équipage, déduction faite des trois rescapés, les îliens s’attendaient à ce que la mer rejette sur leurs côtes un nombre considérable de noyés, sans commune mesure avec les drames de la mer dont ils étaient accoutumés ; qu’ils aient été bouleversés, frappés de stupeur et d’effroi, est tout à fait compréhensible.
Le dernier corps, celui d’une femme, sera rejeté par la mer, sur une grève de l’île, le 21 juillet.
Après cette date, la presse ne fera plus état de nouvelles découvertes. La presse, locale et nationale, s’est saisie de l’événement ; des journalistes affrèteront un bateau à vapeur pour venir enquêter sur les lieux du drame, mais les articles publiés sont souvent fantaisistes. Un journaliste, de « La Dépêche de Brest », dont je n’ai pu retrouver le nom, est venu sur l’île le 18 juin, et c’est son article, paru le 19, qui m’a apporté le plus d’informations. Il faut aussi lire le roman d’Henri Queffélec « Les îles de la miséricorde », qui imagine des dialogues entre les acteurs du drame et traduit les sentiments qui ont pu les animer, mais en respectant avec une grande précision les faits .

Une conséquence du naufrage sera la construction du phare de la Jument en 1904, le financement ayant été assuré par un donateur, M.Potron. Le promeneur qui se place près du calvaire, à l’Ouest de l’île Molène, et regarde ce phare, qui se détache de Ouessant à l’Ouest, en pleine mer, à l’entrée du Fromveur, peut observer le lieu où repose la carcasse du « Drummond Castle », par soixante-quatre mètres de fond, approximativement à mi-distance entre le phare et le « youc’h » (la plus grosse des roches à peu de distance de Molène) .
De nos jours, le « cimetière des anglais » fait toujours l’objet des soins attentifs des molénais : l’onde du choc émotionnel, né le 17 juin 1896, ne s’est pas totalement estompée dans l’inconscient îlien.
Jean Maout

 IX - LE DÉVOUEMENT DES ÎLIENS

À MOLÈNE

L'Abbé Lejeune curé de Molène en 1896.
Photo E.Mage Brest  ©The Graphic 01 Août 1986

 

Quelle journée lugubre que ce 17 Juin 1896, les habitants assistent incrédules au débarquement des corps par les pêcheurs rentrés au port. Il y a là le maire, Mr Victor Masson, le Recteur, le secrétaire de mairie et Mr Colin, le syndic des gens de mer. Ils décidèrent d'attribuer à chaque cadavre un numéro, et de procéder à certaines constatations pour aider plus tard à l'identification des victimes. Sont mis de côté, soigneusement, tous les vêtements, les bijoux , chaque pièce étant étiquetée. Puis Le maire aidé de quelques patrons pêcheurs et de femmes de l'île, décide d'ensevelir les corps. Ils seront cousus dans des draps, puis disposés à l'intérieur d’un magasin attenant au café tenu par Séraphique Cuillandre café du port où ils avaient été rassemblés. On mettra 4 corps sur des tables au rez-de-chaussée, et treize au 1er étage. Le bébé, lui sera mis dans un berceau garni de fleurs, dans la chambre de la tenancière du débit... Le recteur viendra bénir les corps et des prières seront dites à l'église. Devant chaque corps un crucifix est posé, et on allume des cierges pour la veillée mortuaire.

Mme Séraphique Cuillandre qui tenait un café boulangerie sur le port, fut décorée pour son dévouement et pour les soins apportés aux victimes
Photo E.Mage Brest  ©The Graphic 01 Août 1986

Le lendemain, le curé procéda à la levée des corps. On les disposa sur des brancards, portés par les pêcheurs de l'île. Le convoi mortuaire forma une émouvante procession pour aller du quai à l'église, toute la population suivait ce convoi dans une tristesse poignante... le spectacle était d'une imposante simplicité. Le glas sonnait, rendant la scène encore plus lugubre. Le recteur bénit les fosses et les corps une dernière fois, puis ils furent descendus en terre. Les femmes et le bébé sont inhumés dans le cimetière et les hommes devant l'église. Puis, c'est le service solennel dans la trop petite église, qui ne put contenir tous les assistants. L'allocution du recteur fera la synthèse du drame qui venait de se jouer sur les côtes de l'île, tout en félicitant le courage et le dévouement de ses fidèles pour leurs actes. A peine le service religieux terminé, un pêcheur rentrait à Molène avec à son bord, un cadavre d'homme... C'est dans les parages d'Ouessant, qui avait également appris la nouvelle au petit matin du 17 Juin, qu'un 3ème rescapé fut retrouvé un peu plus tôt par Joseph Berthelé, un pêcheur Ouessantin. Il s'agissait d'un passager du Drummond, Charles Marquardt, retrouvé accroché à une épave... Sur cette île aussi, les pêcheurs ont découvert de nombreux cadavres lors de leur quotidienne sortie, mais hélas, pas d'autres survivants...

 Photo de 1910 extraite du livre du Dr Pillet "Sauvetages au temps de l'aviron" | A droite : dessin©The Evening Herald du 25 06 1896

l'Abbé Lejeune, curé de l'île de Molène, ensevelit les victimes du naufrage du "Drummond Castle", après avoir usé toutes les planches de l'île pour faire des cercueils, enveloppe les corps et pratique l'inhumation
©Le Pélerin n°1017 du 28 juin 1896

Dans les jours qui suivirent, un grand nombre de corps et de débris de toute sorte furent retrouvés soit au large, ou déposés par la mer sur les côtes, et ce dans une zone allant du Conquet à Plouescat... Cependant aucune comptabilité n’ a été établie et le nombre de noyés rendus par la mer reste indéterminé. Un média anglais fait état d’une identification de 51 cadavres, sur les 53 qui lui étaient soumis, par Bertillon, l’inventeur de la police scientifique à la Préfecture de Paris ; il aurait été pour cela décoré de la Victoria cross.

Un mois plus tard, un dernier corps fut retrouvé sur une grève de Molène.

On peut raisonnablement estimer à un peu plus d’une centaine les noyés qui ont reçu une sépulture, sur les 248 victimes , les autres ont disparu en mer ou ont encore la carcasse du « Drummond Castle « comme tombeau.

Au total, c'est 29 corps qui reposent à Molène. Cet endroit, toujours aussi bien entretenu, où sont enterrées ces malheureuses victimes, c'est "le cimetière des Anglais"...

Le cimetière des Anglais au pied de l'église Saint-Ronan de Molène
©Molene.fr

(...)
Une scène poignante.
Nous avons ensuite (vendredi 19/06 fin d'après-midi) visité l'île de Molène, dont les pêcheurs ont retrouvé pas moins de 30 corps au total.
Au moment où nous arrivions à terre, les pêcheurs en apportaient un autre, repêché à trois heures de l'après-midi. Ils ont remis au maire une montre en or, un livre de poche, et mouchoir. Celui-ci portait le nom de Reed dans un coin et M. Reed (oncle de Alice), qui était avec nous, s’exclama. "Oh, c'est à mon frère!!" En ouvrant le livre de poche, des papiers furent trouvés confirmant bien cela. M. Reed s’est pratiquement évanoui quand on lui a montré le petit canot dans lequel le corps de son frère était allongé. Il a exprimé le souhait de le ramener dès cette nuit au Conquet pour y être enterré, et le maire a acquiescé. Le canot a été remorqué par un bateau à vapeur.
Avant de partir, nous avons visité les 28 personnes déjà enterrées. Une vingtaine d'entre eux sont enterrés ici et deux ou trois dans une tombe, juste en face de l'église, mais l'abbé Le Jeune a promis aux représentants de la compagnie de navigation à vapeur de murer la parcelle et de l'ajouter au cimetière. Les pêcheurs se sont vus promettre une prime de 15 francs pour chaque corps récupéré. M. Marquardt, le seul passager survivant, quittera Brest pour Londres ce soir (samedi).

Guillaume Le Jeune est sans doute le recteur qui marquera à jamais l'histoire du Clergé à Molène. En effet, il aura géré de graves événements: Le choléra et le naufrage du Drummond Castle
Carte postale ancienne©Collection privée / (1892/1898)

Le sémaphore de Molène en 1898
Photo M.J. Thoulet©Bulletin de la Société de géographie de l'Est 1er & 2ème T.1898

À OUESSANT

"Gens d'Ouessant veillant un enfant mort" oeuvre finale de Charles Cottet, déclinée en 3 esquisses débutées en 1897. Cette peinture est exposée au Petit Palais, musée des Beaux-Arts à Paris

 

On a évoqué plus haut à la rubrique des sauveteurs, comment la nouvelle fut connue à Ouessant...
Ce triste matin du 17 juin 1896, Mr Joseph Berthelé, un pêcheur ouessantin à la retraite était sorti en mer relever ses casiers. En route, il aperçut et sauva in extremis Charles Marquardt, l'unique passager survivant du Drummond Castle, trouvait ensuite le corps sans vie d'une petite fille âgée 2ans à peine (Alice Reed) et peu plus loin, celui du jeune officier Ellis. Berthelé comprit alors très vite qu'une catastrophe s'était produite dans les parages et héla les autres pêcheurs autour de lui pour l'aider à la recherche d'éventuels autres naufragés et à la récupération des corps, parmi tous les objets qui flottaient dans son secteur...
Sachant les autres pêcheurs bientôt sur zone, Joseph Berthelé, ne pouvant embarquer plus de monde dans son petit canot, rentra à terre au plus vite mettre le naufragé au chaud et au sec.
Arrivé à Ouessant, le pêcheur fit conduire Marquardt chez lui, où sa femme et ses trois filles (Louise, Jeanne et Nicole) prirent grand soin du naufragé. Chez eux également, la pauvre petite Alice fut habillée en habit traditionnel ouessantin de baptême et allongée sur une table transformée en autel mortuaire. (Comme l'a peint ci-contre Charles Cottet en 1897, bouleversé par l'histoire de la petite Alice Reed...)

(...)Les Ouessantines se dépouillèrent même pour habiller décemment miss Freda Mgee et une autre femme; elles parèrent surtout le cadavre d'une adorable fillette, Alice Reed que le brave Berthelet avait trouvée en mer et qui nous disait les larmes aux yeux: « Elle allait sur la mer comme une mouette, tout de blanc vêtue, avec les bras étendus comme deux ailes »
Des femmes d'Ouessant l'habillèrent comme une des leurs, d'une robe rouge avec transparent de dentelle et de broderies dorées. Aux poignets, retenant les manches du corsage, deux nœuds violets bleutés de mousseline, ainsi qu'aux pieds, et une ceinture rouge à la taille. La mignonne paraissait dormir. Pieusement, on lui avait placé un chapelet blanc souvenir de première communion sans doute dans ses petites mains jointes. Et tout autour de la caisse qui lui servit de cercueil, chacun avait déposé son petit bouquet guirlandes de roses, œillets, géranium, couronnes, simples fleurs des champs même se mêlaient aux boucles blondes de l'enfant.(...)

La nouvelle se propage très vite dans l'île, les habitants sont en émoi (un journaliste présent sur place le lendemain, écrira que Ouessant n'a jamais aussi bien porté son surnom d'île de l'épouvante...). Plusieurs pêcheurs disponibles se lancent à leur tour dans les recherches. Avec les hommes disponibles on arme et on lance les deux canots de sauvetage de l'île qui rejoignent très vite celui de Molène, déjà sur zone. Les autres informations arrivant justement de l'île vosine Molène (privée depuis quelques jours de moyen de communication à cause d'une panne de son câble électrique), confirment l'ampleur de la catastrophe.
Alors que d'autres cadavres sont débarqués sur l'île, on télégraphie au plus vite depuis le sémaphore, la triste situation aux autorités maritimes de Brest. Quand l'amiral Barrera reçut la dépêche ouessantine, il donna aussitôt des ordres à la direction des mouvements du port pour faire diriger d'urgence sur Ouessant un remorqueur et le personnelnécessaire pour la recherche des cadavres.
M. Hoare, Consul d'Angleterre à Brest, prévenu télégraphiquement de la catastrophe, s'empressa de se rendre à la société des Vapeurs brestois, afin d'envoyer un ou plusieurs vapeurs aux Pierres-Vertes. Le Travailleur se disposait à partir et on apprenait que la Louise, faisant le service postal du Conquet à Ouessant, était déjà sur les lieux.
Marquardt fit envoyer à la Castle Line ce télégramme depuis Ouessant :
Ouessant, le 17 juin à 16 h 10 - perte totale du Drummond-Castle près d'Ouessant. Probablement unique survivant. Procéder rapatriement à Londres dès que possible. — Marquardt.
La Castle Line télégraphia aussitôt à ses agences sud-africaines pour obtenir la liste complète des passagers et des hommes d'équipage à bord. Une liste complète de l'équipage du navire sera publiée le soir-même et les noms de tous les passagers seront publiés un peu plus tard.

Chaque municipalité avait reçu des consignes pour faire le meilleur inventaire possible des détails, des identités, des objets personnels retouvés sur les cadavres. Elles devront aussi se charger de dresser les actes de décès en donnant le plus de détails possibles, puis d'organiser l'inhumation des corps retrouvés par ses habitants...
Des familles et des amis des victimes sont attendues sur les îles et le continent pour les différentes obsèques organisées ici ou là, à partir du lendemain.

L’Inhumation des victimes à Ouessant.
Au total, 6 corps seront retrouvés ce jour-là par les pêcheurs ouessantins. Celui de la petite Alice Reed, de M. Ellis, de Mlle Freda McGee, du jeune Harry Cohen, de M. Whipp et celui du cambusier de deuxième classe, Mr T. Wills. L'inhumation est prévue le lendemain, vendredi 18 Juin à 15h. Les corps seront acheminés dans l'ancien abri du canot de sauvetage, que l'on transformera et décorera en chapelle ardente pour l'occasion. Les six cercueils, (des boites en bois fabriquées très succinctement), ne sont pas fermés en attendant les familles. Ils ont été drapés, des couronnes de fleurs placées au pied de chacun d'entre eux. Le cercueil d'Alice Reed est tellement petit, que les fleurs blanches le cachent presque complétement...

Le vendredi matin, le Cotentin, des Vapeurs brestois, appareillait du port de commerce pour acheminer le consul anglais, les autorités locales, les représentants de la Cie Castle Line, un flot de journalistes et surtout les amis et familles des victimes retrouvées sur l'île.
Parmi la délégation embarquée à son bord pour accompagner les familles, on comptait MM. Bonar, vice-consul d'Angleterre à Brest, Lorne Currie, E.-L. Martin et R.-H. Visely représentants de la Castle Line, différents journalistes et reporters de journaux français, anglais et sud-africains. Le Cotentin avait le pavillon français en berne et celui du vice-consul d'Angleterre hissé à mi-mât au mât de misaine.

La levée des corps à Ouessant
©Le Petit Parisien Illustre N°387 du 05 Juillet 1896

Ce vendredi près-midi, fut l’une des cérémonies les plus pathétiques et les plus imposantes de mémoire ouessantine. Des centaines d'habitants ont revêtu leurs costumes du dimanche, pittoresques et pourtant traditionnels, et se sont assemblés sur des pentes verdoyantes menant à l’ancienne station de sauvetage, où les corps ont été placés... C’est avec un soin tout particulier que cet édifice a été transformé en une chapelle ardente d’un très beau caractère. L’intérieur est orné de draperies noires et blanches, décorées avec des fleurs, tandis que la façade du mur où reposaient les corps était cachée avec l'Union Jack et des ceintures de sauvetage trouvées sur les corps.
Les femmes agenouillées, souvent accompagnées de leurs enfants aux yeux ébahis, longeaient le centre de la petite chapelle et disaient des prières en égrénant leurs chapelets. Le tout constituait un spectacle émouvant et bouleversant pour ceux qui souhaitaient honorer la sépulture de leurs compatriotes. Cela donnait un exemple frappant de la piété, de la simplicité et de la profonde considération pour les morts de ces bons et humbles insulaires.

"One Touch Of nature" preparation ceremonie Alice Reed à Ouessant
Peinture de A.Forestier©The London News Ilustrated

Après que les visiteurs et les membres de la famille dont Mr et Mme Reed de Kimberley, (l’oncle et la tante de la petite fille, dont le père et la mère se sont également noyés), aient défilé pour voir les corps et se soient recueillis, les cercueils étaient cloués, à l'exception de celui de M. Whipp dont on attendait le lendemain l'arrivée de ses amis. (Inhumé finalement que le 25/06...Voir détails passagers)
Peu avant 16h, la levée des cinq corps est faite par le recteur, l'abbé Amédée Salaun, entouré de ses deux vicaires (Guillaume Guédès et Yves Marie Pouliquen), de pêcheurs volontaires et d'élèves de l'école des frères. M. Bonar, vice-consul d'Angleterre, les représentants de la Castle Line et Charles Marquardt, le seul passager survivant, assistaient aux obsèques.
On commença par le cercueil de M. Ellis, drapé d'un Union Jack et porté par quatre pêcheurs de l'île. Le maire, M. Jean-Marie Malgorn, le juge de paix, M. Crenn, et les deux matelots Wood et Godbolt, les deux survivants de l'équipage du Drummond-Castle se plaçaient juste derrière.
Puis suivirent les cercueils de deux autres victimes masculines, Mr Wills et Mr Cohen, recouverts d'un drap noir, et chacun porté également par quatre pêcheurs de l'île.
Ensuite, ce fut au tour de celui de Mlle McGee, recouvert d'un drap blanc et porté par douze jeunes ouessantines en costume traditionnel.
Pour finir, celui de la jeune Alice Reed, que portait seule sous le bras, une mère de famille de l'île. A ses côtés, une de ses filles avait en charge la couronne de fleurs blanches d'Alice. Le petit cercueil était, selon la coutume locale, surmonté à sa tête d'une petite croix de bois entourée de fleurs et de rubans multicolores, puis recouvert d'un joli tissu blanc aux bords en dentelle.
Puis la procession se mit en route et, avec les trois ecclésiastiques en tête, se fraya un chemin à travers les chemins escarpés du village jusqu'au sommet de la colline où se trouvait l'église. Lorsque la procession traversa le village, les habitants envahissaient les rues, les hommes se découvraient et les femmes s’agenouillaient en silence pour offrir leurs prières.

Dans la nombreuse assistance qui suivait le convoi, on remarquait MM. Glérant, médecin de 2" classe de la marine, Bodin, gardien de batterie, Le Bras, gendarme maritime, Quéméneur, facteur, Stéphan, maître de port ou encore Thébaut, l'instituteur.

La modeste église était à peine assez grande pour contenir tout le monde présent. Le service était extrêmement impressionnant. L'église se dressait sur le flanc d'une colline et tout l'espace était noir de monde. Six tombes ont été creusées côte à côte et les cinq corps y ont été enterrés après l'office. Des couronnes, offertes par la Sté Donald Currie and Co ont été placées à la tête de chacune des tombes, également très fleuries par les compositions des îliens.
Mr Bonar, au nom de la Reine d'Angleterre, du peuple anglais, et des armateurs du Drummond-Castle remercia sincèrement et chaleureusement dans une courte allocution, le maire et la population entière de l'île, pour la solidarité, la bonté et le dévouement qu'ils avaient manifestés envers Mr Marquardt et les victimes retrouvées. Le maire et le juge de paix remercièrent à leur tour Mr Bonar de ses bonnes paroles et expliquèrent en substance que ce qu'ils venaient d'accomplir était tout à fait naturel, surtout pour des insulaires hélas si souvent habitués aux drames de la mer...
Au final, la sympathie manifestée et l'attention respectueuse que ces personnes portaient aux morts, avaient largement été relayé dans les journaux internationaux, ce qui devait constituer un grand réconfort pour les parents et les amis restés à la maison.

scene au cimetiere d'ouessant
Dessin de G.Montrard
©The Illustred London News du 27 juin 1896

Le dévouement des habitants et des pêcheurs ne se limita pas qu'aux îles Molène et Ouessant... Partout sur la côte, où l'on trouva des cadavres du Drummond Castle, la plus grande attention était observée envers les victimes et leurs familles. Ce fût notamment le cas à Portsall :

Voir cette page et le récit d’Hervé Farrant

 X - LA RECONNAISSANCE D'UNE NATION

 

Avant de parler de médailles, de récompenses, de cadeaux et de gratifications, il faut bien mettre en avant la reconnaissance unanime du peuple anglais, qui elle n'avait pas de prix mais devenait in facto, la plus belle preuve de remerciement...

 

Exemple d'article complet paru le 18 Juin 1896
dans ©The Yorshire Evening Post

Au lendemain de l'annonce de la catastrophe, tout le peuple britannique était plongé dans la plus douloureuse émotion causée par cette tragédie. Au consulat anglais, les télégrammes et les lettres affluaient de tous les coins de l'Angleterre d'où était originaire la quasi-totalité des passagers, mais aussi d'Afrique du sud, où certaines y résidaient ou travaillaient. Des souscriptions sont spontanément ouvertes, essentiellement dans ces deux pays.
En plus des nombreux télégrammes, les sujets de sa majesté se tenaient informés par les journaux locaux et internationaux couvrant la catastrophe depuis le 17 juin 1896. Ils suivirent jour après jour les circonstances, les découvertes et l'avancée de l'enquête sur ce naufrage qui s'était déroulé à des kilomètres de chez eux. En lisant ces articles parfois illustrés, ils purent ainsi se rendre compte, du grand dévouement dont faisaient preuve tous ces bretons envers leurs concitoyens disparus.
Aussi savaient-ils que ces "braves gens" assuraient en leur nom les recherches, les inventaires, les recoupements d'informations, organisaient en leur souvenir les obsèques des malheureux, dans la plus grande simplicité mais avec la plus grande dignité. Ces « amis bretons » habituaient aux drames de la mer, ne jugeaient pas que ce qu'ils faisaient pour les victimes, revêtait un caractère exceptionnel... Ils faisaient juste leur devoir, comme ils le faisaient en pareille circonstance pour les leurs. Cependant, familles et amis des victimes, représentants de compagnies, ambassadeur,… tous ceux qui s’étaient rendus sur nos côtes, soit à la recherche d’informations, soit pour organiser le rapatriement d’un défunt ou soit pour assister aux différentes inhumations organisées un peu partout, purent en effet constater et confirmer la grandeur de ce dévouement.

Le 23 Juin 1896,
Lettre adressée par Edward White Benson, l’Archevêque de Cantorbéry au curé de Molène, M. l’Abbé Le Jeune :
« Lambeth Palace, 23 juin.
« Cher Monsieur le Curé,
« Permettez-moi de vous offrir les plus chaleureux et les plus respectueux remerciements du clergé et du Peuple de l’église Anglicane pour la très tendre sollicitude avec laquelle vous et vos paroissiens avez rendu les derniers pieux devoirs de la religion à ceux des naufragés que la mer a rejetés après la terrible catastrophe du Drummond Castle. Tous les cœurs ont été profondément touchés par les soins émus avec lesquels les habitants les ont mis au milieu de vous, en leur place de paix, et par la bénédiction que vous leur avez donnée pour qu'ils reposent en Jésus-Christ jusqu'au jour de la Résurrection. Vous dites très justement « que la seule consolation que peuvent avoir les pauvres familles est de savoir que les leurs reposent en paix sur le sol français à l'ombre de la Croix ». Cette consolation, ils la doivent à vous et à vos chers paroissiens. Des actions charitables si pieusement accomplies mettent dans le cœur des nations des sentiments de mutuelle tendresse. Nous prions de toute notre âme pour qu'il en soit ainsi, et que les meilleures bénédictions de Dieu descendent toujours sur votre île généreuse. — Croyez-moi, cher Monsieur le Curé, votre fidèle serviteur et frère en Jésus-Christ.
« HDW. CANTUAR. »

Edward White Benson
94ème Archevêque de Cantorbéry (Archbishop of Canterbury) ©
Collection personnelle

E. W. Benson mourut en octobre de la même année à l'âge de 67ans.

 Londres en 1900 ©Pinterest C.Curdery

 

 L' Abbé Guillaume Lejeune, curé de Molène en 1896  ©The Penny Illustred Paper  / Édition N°1835 du 25 Juillet 1896

Le 25 Juin 1896,
dans un article de l'influent journal Westminster Gazette, il est proposé que "la Reine d'Angleterre décore du nouvel ordre de Victoria les maires d'Ouessant, du Conquet et de Molène, ainsi que le pêcheur qui a sauvé la vie à M. Marquardt." Le journal londonien estimait "que des dons pécuniaires seraient peut-être appréciés également par une population pauvre et en lutte constante avec la nature." La Gazette était en résumé d'avis qu'il fallait faire tout ce qui était possible "pour se montrer reconnaissant de la conduite affectueuse et touchante de ces populations."

Mr Bonar, vice-consul d'Angleterre à Brest, Mr Lorne Currie et Mr R.H. Wisely, représentants des armateurs du Drummond-Castle, se sont rendus chez M. de Kerros, agent du Lloyds, où ils ont arrêté la liste des personnes qui ont sauvé les trois survivants du Drummond-Castle ou qui se sont particulièrement distinguées en leur prodiguant les premiers soins. Diverses autres personnes, entre autres Mlle Séraphique Cuillandre, de l'île Molène, dont nous avons déjà dit le dévouement admirable, sont en outre comprises ans cette liste, qui se traduira par des récompenses. M. Carron, commissaire de l'inscription maritime au Conquet, établira de son côté la liste des pêcheurs qui ont recueilli en mer les cadavres des naufragés.

Le 27 Juin 1896,
un correspondant brestois de l'agence Havas recevait du château de Windsor, en retour de ses condoléances adressées à La Reine au lendemain de la catastrophe, le télégramme suivant :
« Prière d'accepter et de transmettre au gentleman qui s'est uni à vous pour envoyer à la reine un télégramme de condoléances, les meilleurs remerciements de Sa Majesté, qui est profondément touchée de la sympathie, du respect et du culte des morts montrés par les Bretons d'Ouessant."

Le 04 Juillet 1896,
L'abbé Lejeune continue de recevoir de nombreuses lettres de remerciements et d'hommages du peuple anglais. Selon le Yorkshire Evening Post de ce jour, il regrette de ne pas connaître l'anglais pour pouvoir répondre à tous ces courriers d'Angleterre, mais il est sur le point de commencer à l'apprendre car il aime cette langue...

Le 10 Juillet 1896,
M. Balfour, premier lord de la trésorerie du Board Of Trade (commission ministérielle anglaise de l'époque, du commerce et des finances) annonça que le gouvernement étudiait la question de savoir de quelle manière il exprimera la reconnaissance de l'Angleterre pour la bonté et l’humanité dont la population et les autorités de l'Ile Molène ont fait preuve...

Le 15 Juillet 1896,
Les représentants de la compagnie à laquelle appartenait le Drummond-Castle ont soumis la veille au ministre du commerce certaines propositions en faveur des habitants d'Ouessant, de Molène et de Portsall. A cette date, l'usage qui serait fait des sommes récoltées lors des souscriptions n'était pas encore arrêté. Les directeurs de la compagnie fixeront devant le Board of Trade, lors d'une réunion les dons destinés aux îles d'Ouessant et de Molène.

L’Archevêque de Cantorbéry, Edward White Benson, écrivit aussitôt une lettre à Sir Donald Currie pour le remercier chaleureusement d’une telle initiative, destinée à exprimer de manière concrète et digne la reconnaissance des Anglais pour les efforts avec lesquels les Bretons ont inhumé ceux que la mer avait rejetés après le naufrage du Drummond-Castle.

 La commission, après enquête des besoins et désirs de la population des îles, a décidé d'allouer une partie des fonds récoltés à la réalisation des projets envisagés :

  • Pour Ouessant, il est proposé pour la construction d'un clocher à l'église, proposition qui a été acceptée de grand cœur par la population, qui le désirait depuis longtemps. Les habitants des îles, ainsi que tous les pêcheurs des environs, considèrent l'établissement de ce clocher comme un précieux point de repère. « Une somme de 600£ (livres sterling), c'est-à-dire 15,000 Frs.(anciens), sera probablement absorbée par ce travail. »
  • Il serait question aussi de doter l'église de Molène d'une horloge et d'assurer la provision d'eau potable de l'île. Il est en effet jugé primordial l'établissement d'une grande citerne d'eau potable pour l'île, les sources existantes étant insuffisantes au point de vue de la santé de la population.
  • Pour Portsall enfin, la construction d’une jetée pour faciliter les pêcheurs, est envisagée.

 XI - RÉCOMPENSES & CÉRÉMONIES

1 - LES RÉCOMPENSES

Tous les protagonistes qui se sont illustrés par leur dévouement ou leurs actions suite à ce terrible naufrage, ont été remerciés ou récompensés en fonction de leur degré de participation ou de leurs actes remarquables. Concernant les récompenses, les gratifications et les médailles, qu’obtinrent individuellement ou en commun tous ces braves gens, il est important de faire la distinction entre celles octroyées par les autorités françaises, les souscriptions anglaises, l’Église Anglicane ou bien encore la Reine Victoria en personne. Nous allons donc ranger ici par date et par provenance ces différentes récompenses…

1-1. PAR LE MINISTRE FRANCAIS DE LA MARINE

L'amiral Armand Gustave Besnard (1833-1903)
ministre de la Marine entre 1895 et 1898
Photo Boyer Paris©Wikipedia

Mathieu Masson, Patron de la "Couronne de Marie"
Peinture d'après photo©Patrick Chenu2009

Mlle Séraphique Cuillandre photographiée en 1897 à Molène
©
L'Univers illustré du 15 Mai 1897

En Juillet 1896, Armand Gustave Besnard, Ministre de la Marine (qui fut auparavant Préfet maritime de Brest), décide de récompenser tous ceux qui se sont illustrés dans les recherches, les secours et les soins apportés aux naufragés et victimes du Drummond Castle.

Les récompenses suivantes ont été décernées par le ministre de la marine à l'occasion du naufrage du Drummond-Castle :
- Une médaille d'argent de 2ème classe au patron Joseph Berthelé.
- Des témoignages officiels de satisfaction à MM. Caron, commissaire de l'inscription maritime au Conquet ; Édouard Rozagoute, commis du commissariat à la même résidence, et Aimé Marie Colin, syndic des gens de mer à Molène.
- Des félicitations à
MM. Victor Masson, maire de Molène ; Guillaume Le Jeune, curé de Molène; Joseph Labitte, secrétaire de mairie de Molène ; Hyacinthe Le Bousse, surveillant de port à Molène ; Mme Léontine Melazar, veuve Cuillandre, et à Mlle Séraphique Cuillandre.
- Gratifications : MM. Joseph Berthelé, patron du bateau la « Marie-Louise », 100 Frs.;
Le patron Mathieu Masson, le matelot Théophile Marie Kerbérénès, le matelot François Masson, du bateau la "Couronne de Marie", chacun 55 Frs.
- 25 Frs. à chacun des suivants, MM. :
Cyprien Masson patron du bateau « Amélie »;
Théophile Le Bras, patron du bateau « Augustine » ;
Pierre Marie Masson patron du bateau « Joseph-Marie »;
Mathieu Dubosq, patron du bateau « Marie-Philomène »;
Vital Marie Kériel, patron du bateau Jeune « La jeune Hortense »;
Arsène Marie Le Bras, patron du bateau « Marie » ;
Édouard Dubosq, patron du bateau « Saint-Jean »;
Gabriel Podeur, patron du bateau « Séraphique-Marie »;
Auguste Tual, patron du bateau « Courrier de Sainte-Anne » ;
Jean Le Mao, patron du bateau « N.-D. de la Garde » ;
Jean-Marie Cariou, patron du bateau « Marie-Jeanne »;
Auguste Alexandre Masson et René Marie Masson patrons du bateau « Deux Sœurs »;
Ambroise Ballut, patron du bateau « Esmeralda » ;
César Marie Kériel, patron du bateau « Reine des Anges » ;
Jean Marie Masson, patron du bateau « Dieu protège les Deux Frères » ;
Ambroise Marie Dubosq, patron du bateau « Marie-Joséphine » ;
Nicaise Rocher, patron du bateau « N.-D. de Bon Secours » ;
François Pallier, patron du bateau « Janus » ;
Magloire Le Bousse, patron du bateau « Frère et Sœur » ;
François Marie Oulhen, patron du bateau « Coq » ;
Hervé Pellen, patron du bateau « H.-P. » ;
Auguste Gouzien, patron du bateau « Castor »;
Hervé Le Borgne, patron du « Hoche » ;
Jean-François Pallier, patron du bateau « Préon » ;
Yves Salou, patron du bateau « Saint-Joseph ;
Yves Daouben, patron du bateau « Pacifique » ;
Pierre Corolleur, patron du bateau « Borda » ;
Jean Salou, patron du bateau « Gendarme » ;
Jean Marie Riou, patron du bateau pilote N° 3;
Paul Fouesnant, patron du bateau « Trois Amis » ;
Louis Marie Toulau, patron du bateau « Nicolas » ;
Jacques Botquelen, patron du bateau « Saint-Jacques » ;
Jean Marie Caïn, patron du bateau « Joséphine ».
- 20 Frs à chacun des suivants :
M. Théodore Foly ; Mme Le Bousse, née Masson; Mlle Masson; Mme Delarue, née Gouachet; Mlle Mao; M. Monot; Mme Masson, veuve Mao: Mme Mao, née Cuillandre, habitants de Molène ; Omnès, garde champêtre à Saint-Pabu; Mme Salou, née Prigent ; Mme Mllin, née Calvarin; Mine Floch, veuve Corolleur, M M. Thomas et Agont-bart ; Mme Le Bihan, habitants de Porspoder; Mme Cloarec, veuve Tréhoret ; MM. Le Guen et Malgorn, habitants d'Ouessant.

1-2. PAR UNE GÉNÉREUSE DONATRICE ANGLAISE

Durant l'été 1896, une noble touriste anglaise se rend à Molène suite au naufrage du Drummond Castle et décide de remercier l'Abbé Lejeune en lui faisant un cadeau utile pour la paroisse. Ce sera une belle croix de procession.

Au regard de la légende sous l'inscription en latin, et avant la date, les initiales D.D.L.C nous amènent à penser que la donatrice était plutôt Lady L.C et non Lady J.C comme il est indiqué dans l'article ci-dessous. Mais ce n'est qu'une supposition...

 

Croix processionnelle de Molène 1896

(…)Une noble dame, lady J. C. arrivée à Molène, à bord de son yacht, visita, avec beaucoup d'intérêt le cimetière de l'île et l'église paroissiale, s'informant de ce qui pourrait y manquer, et « réclamant la faveur » de le fournir.
M. le recteur, qui l'accompagnait, exprima, au nom de ses paroissiens, le désir d'avoir une croix de procession. Mme J. C. la promit aussitôt, à condition qu'elle puisse y mettre une inscription de son choix. Sitôt après, la croix promise arrivait et fut portée, la première fois, à la procession du 15 août.
Elle est en bronze dorée, fort belle, et les habitants en sont justement fiers. Quant à l'inscription choisie, elle rappelle, avec beaucoup de délicatesse, les circonstances qui ont motivé la visite de la généreuse donatrice et l'héroïque charité du bon recteur en plusieurs occasions « Quando sepeliebas mortuos ego obtuli orationem tuam Domino. » (Quand vous ensevelissiez les morts, j’ai présenté vos prières au Seigneur)

 

Le Chapitre XII original du livre de Tobie est :

Quando orabas cum lacrymis, et sepeliebas mortuos, et derelinquebas prendium tuum, et mortuos abscondebas per diem in domo tuâ ,et nocte sepeliebas eos, ego obtuli orationem tuam Domino. (Lorsque vous priiez Dieu avec larmes, et que vous ensevelissiez les morts; que vous quittiez pour cela votre dîner, et que vous cachiez les morts dans votre maison durant le jour, pour les ensevelir durant la nuit, j'ai présenté vos prières au Seigneur, qui les a reçues favorablement.) Ce qui en effet, correspondait parfaitement à la situation vécue par les îliens...

 

 

Croix processionnelle de Molène offerte en 1896 par une généreuse donatrice anglaise.
Photo©2019 Cté Religieuse de Molène (Merci à Soeur Yvonne pour son aide)

face avant de la Croix processionnelle de Molène offerte en 1896.
Photo©2019 Cté Religieuse de Molène

face arrière de la Croix processionnelle de Molène offerte en 1896 avec l'inscription souhaitée par la Lady.
"Quando sepeliebas mortuos ego obtuli orationem tuam Domino" est une expression extraite du Chapitre XII du Livre de Tobie, l'ancien testament.
Mense Augusti MDCCCXCVI
(Mois d'Aôut 1896)
Photo©2019 Cté Religieuse de Molène

1-3. GRÂCE À LA SOUSCRIPTION DU "GUILD OF ALL SOULS"

Vue d'ensemble du calice de Molène offert à Noël 1896 par la "Guild Of All Souls" à l'Abbé Lejeune et sa paroisse en reconnaissance de leur dévouement pour les inhumations suite au naufrage du Drummond Castle. Photo©2003 MC Molène

UN CALICE & UNE PATÈNE INESTIMABLES


La « Guild of All Souls » (Société de toutes les âmes), est une sorte de confrérie des trépassés, établie en Angleterre.

En septembre 1896, en reconnaissance de la sépulture chrétienne accordée aux naufragés du Drummond-Castle, par Mr Guillaume Lejeune, Recteur de Molène, la guilde souhaite offrir à l'église de cette paroisse et à ses habitants un mémorial, des objets de culte, qui serviront aux offices et entretiendront le souvenir. Une souscription est alors lancée par Mr Walter Plimpton, son secrétaire auprès de tous les membres de la Guilde.

LE CURÉ DE MOLÈNE.
Comme souvenir du profond sentiment suscité dans tout le pays par l'action sympathique du curé et des paroissiens de Molène, au moment du terrible désastre sur le paquebot Drummond Castle, une liste de souscription a été ouverte sous les auspices de la "Guild of All Souls ", dans l’intention de présenter à la paroisse un mémorial permanent de la mélancolie. De l'avis général, cela devrait prendre la forme de quelque chose qui pourrait être utilisé dans les services de l'église, autour de laquelle reposent un si grand nombre de nos voyageurs malheureux. La liste des abonnés a été clôturée vendredi dernier et les résultats des travaux de M. Walter Plimpton, le secrétaire, ont été des plus gratifiants. Parmi les contributeurs au fonds se trouvent nombre des évêques, membres du clergé et laïcs les plus connus de l'Église anglicane. La forme exacte que le mémorial doit prendre n'a pas encore été définitivement déterminée, mais compte tenu de l'excellence de l'art ecclésiastique anglais à l'heure actuelle, il est probable qu'un crucifix, des chandeliers d'autel ou des vases seront fabriqués dans notre pays et à partir de modèles anglais...

Vue du socle spécifique du calice avec ses médaillons colorés représentant six scènes de la vie de Jésus. Photo©2003 MC Molène

Le 11 octobre 1896, Edward White Benson, l'Archevêque de Cantorbéry, meurt d'une crise cardiaque à Hawarden à l'âge de 67ans...

Celui qui s'était lié d'amitié fraternelle avec l'Abbé Lejeune de Molène, qui avait tant apprécié et reconnu son dévouement à l'occasion du naufrage, n'aura jamais connu les cadeaux reçus à destination de la petite paroisse insulaire...

 

Mort de l'Archevêque de Cantorbéry

Le 16 Septembre 1896, Edward White Benson entreprit une tournée de prêche en Irlande. Le vendredi 9 octobre, il prononça un discours inspirant lors d'une grande réunion à Belfast en vue de la construction de la cathédrale. Il traversa la Manche irlandaise le même jour et se rendit le 10 à Hawarden chez Gladstone (le 1er ministre anglais), pour qui il avait la plus profonde vénération. Le lendemain dimanche, il se rendit à la première célébration de la sainte eucharistie. Après le petit déjeuner, il est retourné à l'église, gai et semblant exceptionnellement bien, pour la prière du matin, et s'est assis à la place de Gladstone. Alors que l'absolution se prononçait, il mourut soudainement d'une crise cardiaque. Son corps fut transporté le 14 à Cantorbéry, où il reposait dans la "couronne" de la cathédrale, visitée par une multitude de personnes en deuil. Les funérailles ont eu lieu le vendredi 16 novembre en présence du duc d’York et d’une vaste congrégation. Il fut le premier archevêque enterré dans sa propre cathédrale depuis Polé.

Source : Dictionnaire biographique national, supplément de 1901- Benson, Edward White d' Arthur James Mason
Image : Edward White Benson (Peinture de Hubert von Herkomer)©Wikipédia

En novembre 1896, le choix s’est finalement porté sur la fabrication d’un calice en vermeil, une réplique d’un modèle inspiré du moyen-âge, orné de pierres précieuses et sur la fourniture d’une patène dorée. Ce calice de 22cm de haut est une œuvre remarquable d'orfèvrerie et de joaillerie. Ce Calice de Molène était selon la commission diocésaine d'Architecture et d'Archéologie, en 1904, la 4ème plus belle pièce d'orfèvrerie moderne recensée dans tous les monuments du diocèse de Quimper et de Léon. Les trois autres œuvres modernes faisant partie du trésor archéologique était alors : L'Autel  d'or  de  la cathédrale  de  Quimper, le Reliquaire  du  Bras  de Saint  Corentin et la Châsse  de  saint  Pol-de-Léon…

C’est l’ambassadeur de France au Royaume-Uni, le Baron Alphonse Chodron de Courcel, qui remettra en main propre le calice et la patène à L’Abbé Lejeune, curé de Molène, juste avant Noël 1896.

Baron Alphonse Chodron de Courcel, Ambassadeur de France au Royaume-Uni de 1894 à 1898.©Wikipédia

DRUMMOND CASTLE MEMORIAL. Le mémorial auquel les membres de l'Église anglicane ont souscrit en reconnaissance de l'action humaine et charitable du curé et des villageois de Molène en faveur des victimes du désastre du Drummond Castle doit être reçu par l'abbé Le Jeune la veille du jour de Noël. Le souvenir de la gratitude anglaise consiste en un beau calice et une patène dorée, qui seront utilisés lors de la première messe le matin de Noël, où cela constituera un véritable symbole de "paix et de bonne volonté" parmi les hommes.

CPA "Léglise construite en 1881"
Collection MC

Le calice et la patène sont conservés et exposés avec les autres reliques dans une vitrine blindée de l'église Saint-Ronan de Molène ©2007 S. Cuillandre

Patène offerte à Noël 1896 par la "Guild Of All Souls" à l'Abbé Lejeune et sa paroisse en reconnaissance de leur dévouement pour les inhumations suite au naufrage du Drummond Castle. Photo©2007 MC Molène

En reconnaissance de la sépulture chrétienne, accordée aux naufragés du Drummond-Castle, en 1896, par Mr Ie Recteur de l'Ile-Molène, le Guild of All Souls (Société de toutes les âmes), sorte de confrérie des Trépassés, établie en Angleterre, a offert à l'église de cette paroisse un calice en vermeil, enrichi de pierreries. C'est une œuvre remarquable d'orfèvrerie et de joaillerie. La hauteur du calice est de 0m. 22, la largeur de la coupe, 0m.09 et la largeur du pied, 0 m. 17. Le pied polylobé se compose de six lobes séparés par autant de pointes ; chaque lobe contient un médaillon circulaire en argent mat, sur fond d'émail, représentant : 1. L'Agonie de Notre-Seigneur au jardin des Oliviers; 2. Notre-Seigneur devant Pilate ; 3. Couronnement d'épines ; 4. Flagellation ; 5. Portement de Croix ; 6. Notre-Seigneur mourant sur la Croix.
Tous ces sujets sont traités d'une façon archaïque, genre moyen-âge. Autour des médaillons court une guirlande de feuilles tréflées. Dans chacune des pointes est sertie une grande pierre précieuse, accostée de deux autres plus petites; et là prennent naissance des feuilles ciselées qui s'épanouissent en montant et sont séparées par d’autres pierres fines. Le pied est couronné par une sorte de galerie ajourée, renforcée de colonnettes torses terminées par des rubis. Puis vient le nœud, formé d'un globe de cristal de roche de 0 m. 05 de diamètre, autour duquel s'enroulent et se croisent trois bandes de vermeil filigranées et ornées de perles.La base de la coupe est également ornée de feuilles et de pierreries ; le haut demeure lisse avec un léger évasement. En faisant le compte exact des gemmes qui décorent ce calice, on en trouve 36 de grande et de moyenne dimension et 148 petites donnant toute la gamme des nuances et des variétés. Pour faire valoir la belle eau des pierres qui garnissent le pied, le joaillier a évidé le métal en dessous, de sorte qu’on peut les examiner par transparence.
Sous le pied est gravée cette légende :
« IN GLORIAM DEI ET IN GRATAM MEMORIAM PIAE CURAE A SACERDOTE MOLENIENSI SUSCEPTAE IN SEPULTURA EORUM QUI NAUFRAGIO « DRUMMOND CASTLE » A . D . XVI . KAL . JUL . MDCCCXCVI OB1E-RUNT — OMNIUM ANIMARUM SOCIETAS — ALIIQUE ANGLICANI HUNC CALICEM PATENAMQUE — FIDEI COMMUNIS TESTIMONIUM QUAE PER TOTAM ECCLE-SIAM CATHOLICAM DE FIDELIBUS DEFUNCTÏS OBTI-NET — DONO DEDERUNT. »
« A la gloire de Dieu et en souvenir reconnaissant des soins pieux que le Recteur de l’île Molène a mis pour donner la sépulture religieuse aux naufragés du Drummond Castle qui ont péri le 16 Juin 1896, la Société de toutes les âmes et quelques autres Anglais ont offert ce calice et cette patène, comme témoignage de la foi commune, professée dans toute l'Eglise catholique au sujet des fidèles trépassés. »
La patène, mesurant O m. 14 de diamètre, porte gravé à son revers le cachet de la Société de toutes les âmes : une croix de Malte allongée, entourée d’un nimbe en amande contenant cette inscription : « THE GUILD OF ALL SOULS. MARCH A. D. 1878 ».
Au centre : « R. I. P. Requîescant in pace ».
Cette admirable pièce d'orfèvrerie, imitée du style anglais moyen-âge, est enfermée dans un écrin ou cassette en bois des îles, capitonnée en velours vieux vert à reflets. Sur le couvercle, une plaque en cuivre doré porte une autre inscription gravée : A L'ÉGLISE DE SAINT RONAN, ILE DE MOLÈNE, DE LA PART DU GUILD OF ALL SOULS, EN ANGLETERRE. NOEL 1896. — Cette belle œuvre d'art a été exécutée dans les ateliers de Barkentin et Krall, de Londres

 

... LA SOUSCRIPTION DU "FONDS BRETON"

Avant de voir les travaux "payés" et réalisés grâce à cette souscription, il est très important de comprendre l'origine et les objectifs de ce fonds à l'initiative de Sir Donald Currie.
"Il est intéressant de noter que la Reine, le Prince et la Princesse de Galles, le Duc et la Duchesse d'York et de nombreuses autres personalités y ont participé généreusement..."

 

 

Le 24 Juin 1896,
Mr Mirrielees, un des directeurs de la compagnie Castel Line, gendre de Mr Donald Currie, arriva à Brest et se rendit à Molène, Ouessant et dans les ports de la côté concernés par la catastrophe. Il y remercia chaleureusement tous les maires, curés et représentants qui s'étaient dévoués avec honneur à la suite du naufrage. Il chercha au nom de la compagnie le meilleur moyen d’exprimer de manière tangible la reconnaissance publique exprimée au Royaume-Uni envers le peuple breton pour son humanité et sa gentillesse à l’égard de la perte du Drummond-Castle. Mais les protagonistes refusaient de prétendre à une éventuelle contrepartie. Pourtant touché par les services généreux rendus par les habitants de ce district, notamment à Ouessant et à Molene, en liaison avec la perte du Drummond-Castle, il interrogea tous les représentants locaux pour connaitre se qui faisait le plus défaut dans leur quotidien, puis rentra à Londres.
A son retour, Mirrielees témoigne à son beau-père tout le dévouement, le courage, l'humilité dont ont fait preuve ces habitants bretons à l'occasion de la catastrophe, et avec quelle simplicité ils ont réussi à prendre le plus grand soin des naufragés, des victimes et de leur inhumation. Mirrielees rédige alors un rapport détaillé, sur lequel il retrace ses différentes visites bretonnes et les besoins de ces habitants que l'on veut vraiement remercier.
En juillet 1896, Mr Donald Currie et son gendre, Mr Mirrielees expriment leur projet de lever en plus de la souscription «Fonds de secours du Drummond-Castle», ouverte par les lords Belhaven et Stenton pour les familles des victimes du paquebot, une souscription distincte. Cette nouvelle collecte bâptisée « Fonds breton Drummond-Castle» aura pour but d'exprimer la gratitude ressentie en Angleterre envers les habitants des îles de Molène, d'Ouessant et lieux adjacents, pour leur grand et honorable dévouement.
Mr Donald Currie fit le 11 juullet 1896, la correspondance suivante à Sir Ritchie, président du Board Of Trade :

3 et 4, Fenchurch Street, Londres, CE,
le 11 juillet 1896
«Cher M. Ritchie, j'ai transmis à Sir Courtenay Boyle à la Chambre le rapport détaillé de mon gendre, M. Mirrielees, de notre société, à son retour de la côte de Brest, qui vous avait été promis en ce qui concerne les services généreux rendus par les habitants de ce district, notamment à Ouessant et à Molene, en liaison avec la perte du Drummond-Castle.
«Dans le rapport qui vous a été soumis, M. Mirrielees a expliqué ce qu’il avait appris des habitants du district de Brest serait très apprécié par ceux-ci, bien qu’ils aient refusé de prétendre qu’ils avaient droit à cette contrepartie. J'ai soigneusement réfléchi à la question et je vous prie maintenant de bien vouloir préciser ce que je propose de faire.
«Je propose de lancer un appel au public, en plus du mouvement inauguré par Lord Belhaven et Stenton, pour que les abonnements forment un fonds destiné aux objectifs suivants, sous la direction d'un comité composé de l'amiral Sir Anthony Hoskins Lord Belhaven et Stenton, MW Garland Soper (président du Comité des marchands sud-africains), Sir Robert GW Herbert, Lord Clifden, M. Mirrielees, en compagnie des autres membres de notre cabinet et de moi-même, avec le pouvoir numéraire des abonnés:
"1. Construire une flèche pour la tour de l’église d’Ouessant devrait servir de point de repère aux pêcheurs et autres pêcheurs.
“2. Poser une horloge sur l'église de Molène et aider, par sa contribution ou autrement, à organiser, dans la mesure du possible, un meilleur approvisionnement en eau pour cette île où les habitants ne sont pas très aisés et où ils ont été soumis au choléra de temps en temps en raison de l’absence d’approvisionnement en eau.
‘’3. Si les souscriptions reçues sont suffisantes, un fonds sera créé pour les parents des pêcheurs naufragés ou à la retraite, ainsi que pour l’éducation des enfants de pêcheurs et d’autres personnes du district de Finisterre, y compris Ouessant, Molène et les îles.
«Je suis convaincu de tous les côtés de la volonté générale de manifester, d'une manière ou d'une autre, notre bien-être national et notre gratitude envers le peuple breton. Le fonds de Lord Belhaven a déjà atteint la somme de 130 £ et je commencerai la nouvelle liste de souscription proposée avec un cadeau de 200 £.
«Bien à vous,
«Donald Currie

"Secours" et "Breton", 2 fonds bien distincts...
A cette époque, il était estimé qu’une somme de 3 000 £ serait nécessaire pour s’occuper concrètement du programme envisagé grâce au  « Fonds breton Drummond-Castle». Le montant collecté pour celui-ci sera finalement de 1600£, auxquelles la Lloyds Bank ajoutera les 1400£ manquantes en les puisant dans les 25.000£ collectées, grâce à la principale souscription ouverte après la catastrophe le «Fonds de secours du Drummond Castle» (Souscription essentiellement ouverte pour venir en aide aux familles, parents et enfants des victimes)
Voici sur quelques dates, l’évolution de la collecte du  « Fonds breton Drummond-Castle» :
517£ le 17/07/96  - 597£ le 23/07/96 - 999£ le 19/08/96  - 1300£ le 28/09/1896  et 1600£ le 26/01/1897.

 

Pour info : Sir Donald Currie offrit en son nom 200£ au « Fonds breton Drummond-Castle» et 1.500£ à la souscription principale. La Cie Castle Line quant à elle, offrit 5.000£ à cette souscription principale et pour les « bretons », prit à sa charge les frais inhérents aux différentes inhumations (transports, fleurs, publications…)

Suivi du "Drummond Castle Breton Fund" extrait du journal Morning Post le 23 Juillet 1896 (597£ à cette date)
©The Morning Post

 

Lettre de remerciement de Mr Mirrielees au journal journal Morning Post le 04 Septembre 1896, pour ses parutions d'appels à souscription au "Fonds Breton" ©The Morning Post

 

FONDS DE BRETON DRUMMOND CASTLE. À L'ÉDITEUR DU MORNING POST.
Monsieur, - Je vous suis profondément reconnaissant pour votre aimable référence au "Fonds Drummond Castle Breton" dans le journal d'aujourd'hui. Les objectifs du fonds sont en premier lieu d'assurer l'alimentation en eau de Molene, qui souffre du manque d'eau potable; un programme à cet effet est actuellement étudié par des personnes compétentes. Également pour présenter une horloge pour la tour de l'église, il n'y a pas d'horloge sur l'île, et seulement deux montres. Si les fonds le permettent, il est proposé de construire une flèche pour l’église d’Ouessant, ce qui devrait constituer un avantage considérable pour les pêcheurs et les autres personnes en mer. S'il devait rester suffisamment d’argent, un fonds serait créé pour le bénéfice des relations des pêcheurs naufragés et à la retraite et pour l'éducation de leurs enfants.

L’impression faite au public ici au moment du triste événement semblait justifier l’attente d’une réponse meilleure que celle de l’appel de notre Comité, et maintenant que la nature méritoire des propositions est de nouveau mise en avant de manière évidente. grâce à votre aimable assistance, on peut espérer qu'une aide rapide et efficace pourra être apportée à la réalisation de nos projets. - Bien à vous, etc.,

F. J. MIRRIELEES, Hon. Secrétaire. 3 et 4, rue Fenchurch, 3 septembre.

En Janvier 1897, la commission du Board Of Trade demanda au ministre des travaux publics du gouvernement de la République Française, l’assurance que cette proposition de contribution anglaise pouvait être pratique et acceptée. M. le ministre des travaux publics accepta de grand cœur ce projet et obtint des ingénieurs des Ponts et Chaussées des plans détaillés pour la construction d'une grande citerne pour la provision d'eau à Molène. Ces plans seront adoptés par la commission anglaise, qui a remettra au gouvernement français la somme de 14,000Frs (prix d'estimation des travaux). M. le ministre en a accusa réception avec de chaleureux remerciements pour ce don du peuple anglais aux habitants des îles Molène et la promesse formelle que les travaux seraient immédiatement entrepris par les soins de l'administration des Ponts et Chaussées. La commission commanda également une horloge pour Molène, estimée 2,500 Frs., et qui sera érigée au Printemps 1897.

1-4. GRÂCE À LA SOUSCRIPTION DU "FONDS BRETON"

POUR MOLÈNE : UNE MAGNIFIQUE HORLOGE

A cette époque en effet, les molénais qui ne disposaient pas de montres, avaient émis le souhait d’équiper le clocher de l’église Saint-Ronan, d’une grosse horloge sonnant les heures pour renseigner les travailleurs des champs et qui serait visible jusqu’en mer.
Un comité anglais lança une sorte d’appel d’offres aux horlogers notoires, et c’est le design de M. John Hoch, situé au 311, Brixton-road, à Londres,  qui fût sélectionné.
Une fois l’œuvre achevée, en mars 1897, le public était invité à venir découvrir cette fameuse horloge pendant quelques jours, dans ses locaux londoniens. Les experts et connaisseurs ne tarirent pas d’éloges sur l’incroyable travail de finition, et on estimait que le mécanisme pourrait durer 300 ans, s'il était bien remonté deux fois par semaine… Les engrenages principaux d’environ 30 et 35cm sont en « bronze à canon », avec des dents taillées dans le brut par de puissantes découpeuses motorisées de roues. Les pignons, les tonnelles et les pivots sont en acier trempé de la meilleure qualité, endurcis et polis.

Le mécanisme de l'horloge de John Hoch offerte par les anglais. Photo©2013 MC Molène

Mais surtout, cette horloge est équipée d’un ingénieux système régulateur par échappement, le « double three-legged gravity escapement » inventé quelques années plus tôt par Edmund Beckett, 1er Baron de Grimthorpe. Ce mouvement vite célèbre pour sa fiabilité (il équipe l’horloge de Big Ben et du Palais de Westminster…) a pour but grâce à ses trois doubles bras et un pendule compensateur conçu à l’épreuve des variations du chaud et du froid, de donner l’heure avec une très grande précision. Non seulement toutes les aiguilles des trois cadrans sont contrôlées par l’horloge, mais un mouvement automatique se croisant s’ajoute pour la soulager de la lourde contrainte causée inévitablement par ses tiges d'acier de 8mm de diamètre. L’horloge qui sonne l’heure est assez puissante pour lever le marteau d’une cloche de près de 800kg…

Une fois arrivée à Molène (en plusieurs caisses…), l’horloge fût installée par Mr John Hoch lui-même dans le clocher de l’église. Comme le souhaitaient les molénais, l’horloge indiquera l'heure sur trois cadrans, dont deux seront fixés à la tour (côté Nord et Sud) et le troisième sera déporté un peu plus loin (côté Est). Sur les tablettes de fixation dans l'église étaient gravées les inscriptions suivantes : (en français) « A l’ombre de cette église reposent 29 personnes qui ont péri dans le naufrage du paquebot Anglais : Drummond-Castle, perdu dans le passage du Fromveur pendant la nuit du 16 Juin 1896.  En mémoire reconnaissante des soins pieux prodigués par les habitants de l’île Molène aux malheureuses victimes de cette catastrophe. L’horloge de cette église et la Citerne avoisinante ont été données par le peuple Anglais.»

 

La plaque commemorative fixée à l'origine sur les tablettes de l'église. Photo©2006 MC Molène

 Quelques détails :

  • L'horloge tomba en panne dans les années 1920, mais faute d'une intervention compétente sur cette mécanique anglaise, elle ne pût être remise en fonctionnement et sombra dans l'oubli.
  • Les deux poids en pierre, alors inutiles, furent utilisés pour agrémenter le portail d'une maison de Molène. (que l'on retrouvera en 1996)
  • Afin de commémorer dignement le centenaire de la catastrophe sous l'impulsion de Jean-Marie Retornaz avec la totale adhésion du Maire Marcel Masson (de 1989 à 2001), un horloger passionné, Philippe Cottinet accepta d'entreprendre la restauration de cette horloge. Le rouage de temps était couché sur le sol dans le clocher, les mécanismes très usés et grippés. L'état de délabrement extrême rendait l'intervention délicate, mais aucune pièce ne manquait après qu'un remontage "in situ" ait été effectué.
  • Plus de 200 heures ont été nécessaires à Philippe Cottinet pour remettre les rouages en marche.
  • L'horloge restaurée a été également enrichie d'un cadran de verre et d'une petite cloche qui lui permettent d'indiquer l'heure de Greenwich en vigueur en 1896 et de sonner les heures en remplaçant les cadrans d'origine désormais électrifiés et la cloche fondue en 1852 toujours en place dans le clocher de l'église Saint Ronan de l'île.
  • La restauration de l'horloge a été finacée par la Communauté de Communes du Pays d'Iroise et la Mairie de Molène.
  • L'horloge est désormais visible au musée du Drummond Castle à Molène.

L'horloger bretois Philippe Cottinet dans son atelier. Photo©2017 Ouest France

Carte postale de l'horloge du Drummond Castle (avant d'être mise sous verre. En médaillon : Marcel Masson, maire de Molène en 1996)
Photo JM Malgorn©Éditions YCA

Gérard Caraven, le célèbre guide du musée du Drummond Castle de Molène, remontant le mécanisme de l'horloge. Photo©2011 S.Cuillandre

Autre angle de vue de l'horloge au musée du Drummond castle, permettant de voir les deux poids en granit, retrouvés en 1996. Photo©2016 MC Molène

POUR MOLÈNE : UNE CITERNE SALUTAIRE

Afin de pallier au problème d'eau potable de l'époque sur l'île, l'argent du Fonds breton, permit également de financer la construction d'une citerne-impluvium. Les travaux d'un montant de 14.000Frs, suivis par le Ministère des travaux publics, et réalisés par le Service des Ponts et Chaussées durèrent 5 mois.

Cet ingénieux système de captage et de stockage des eaux pluviales bien connu dans la Rome Antique, est composé d'une vaste citerne bétonnée sous-terraine d'une capacité de 250 m3, et surmontée d'une surface dallée. Ces dalles, toutes légèrement en pente sont entourées par des rangées de sable qui sert à filtrer l'eau de pluie qui est récupérée en contrebas. Elle est alimentée par l'impluvium que constituent les 300 m2 de sa surface dallée auxquels on a ajouté les 400 m2 des toitures de l'église et du dispensaire voisins.

La citerne des Anglais et l'enceinte impluvium près de l'église Saint Ronan. Photo©2014 S.Cuillandre

 Quelques détails :

  • En 1976, Molène se dote d'un nouvel impluvium, beaucoup plus grand, dans le Nord-Ouest de l'île, pour capter et stocker l'eau de pluie en cette triste année de sécheresse. Sur le même principe que l'impluvium des anglais, de grandes dalles de béton légèrement inclinées permettent de récupérer l'eau de pluie dans une citerne de 4500m², d'une capacité de 1500m3.

  • En juin 1989, René Masson (Président de l'Amicale Molénaise), fait appel à son ami Pierre Stervinou (Horticulteur et sourcier brestois), pour chercher d'éventuelles sources d'eau souterraines sur l'île. Le pendule du connaisseur s'affolera à des endroits bien précis. Après avoir convaincu les autorités de tenter des forages et d'avoir trouver le budget nécessaire, leurs tentatives seront payantes, puisque le 14 septembre de la même année, un véritable geyser d'eau douce jaillit de 23mètres de profondeur sous l'effet du trépan... Passée la joie, l'excitation et les doutes, s'en suivirent de nombreux tests, avis techniques et expertises... De l'eau douce était officiellement trouvée à Molène ! (et ça dure toujours...)

POUR OUESSANT :
UN NOUVEAU CLOCHER

L'imposante église Saint Pol-Aurélien à Ouessant a été construite en 1860 d'après des plans de l'architecte Le Bigot. Pour être remerciés de leur dévouement à l'occasion du naufrage du Drummond Castle, les Ouessantins avaient eux, émis le souhait aux anglais de construire une flèche pour leur nouvelle église dont le clocher était resté inachevé. Le réhaussement de ce dernier constituait un avantage considérable pour les pêcheurs et les autres personnes en mer.

Le clocher de l'église St Pol-Aurélien.
Photo©Office du Tourisme d'Ouessant

POUR PORTSALL :
UN QUAI

Le budget total de 3.000£ du Fonds breton le permettant, les Anglais voulurent également récompenser le courage et le dévouement des pêcheurs du petit port de Portsall. Ces derniers ayant émis le souhait de disposer d'un quai pour faciliter les entrées et les les sorties des canots, les britanniques remirent une somme de cinq milles francs à la commune de Ploudalmézeau pour l'amélioration du port et la construction (en 1898) de ce quai appelé (en hommage à la souveraine britannique) «quai Victoria»
Voir cette page et le récit d’Hervé Farrant

Le quai "Victoria" de Portsall
Photo©Hervé Farrant

1-5. PAR LA REINE VICTORIA

DES MÉDAILLES & DES GRATIFICATIONS

Le 24 Juin 1896,
MM. Bonar, vice-consul d'Angleterre à Brest, Lorne Currie et R.H. Wisely, représentants des armateurs du Drummond-Castle, se rendendront chez M. de Kerros, agent de la Lloyds Bank, où ils dresseront la liste des sauveteurs des trois survivants du Drummond-Castle et tous ceux qui se sont particulièrement distingués en leur prodiguant les premiers soins.
M. Carron, commissaire de l'inscription maritime au Conquet, établira de son côté la liste de tous les pêcheurs des îles et de la côte qui ont recueilli en mer les cadavres des naufragés. La Reine Victoria souhaite tous les les récompenser...

Le 06 Août 1896,
M. Ritchie, président du Board of Trade, avise par courrier Mr Alfred De Courcel (Ambassadeur français basé à Londres) de l'intention de la reine d'offrir une médaille d'argent à tous ceux qui ont mérité ce témoignage de gratitude. Cette distribution devra au préalable obtenir l'aval du gouvernement français. Mr De Courcel après avoir obtenu cet accord, par le biais du ministre des affaires étrangères, remercie chaleureusement Mr Ritchie et le gouvernement de la Reine d'une telle proposition.


La Reine Victoria

Reine (en 1896) du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande et impératrice des Indes. Photo de 1887©Alexandre Bassano

La médaille  d'honneur du « Drummond-Castle » sera frappée à Londres en Août 1896 et éditée à moins de 300 exemplaires.
Elle est en argent et le ruban est grenat.

Au recto : l'effigie de la reine Victoria avec cette inscription : « VICTORIA REGINA ET IMPERATRIX »

Au verso : « S. S. DRUMMOND-CASTLE, 16 JUIN 1896 » et « A TOKEN OF GRATITUDE FROM QUEEN VICTORIA » (Témoignage de gratitude de la reine Victoria).

Les titulaires des médailles du Drummond-Castle ne recevront leurs diplômes associés qu'après que leurs noms auront paru dans le Journal officiel anglais (fin 1897).
Afin de permettre aux titulaires de médailles de porter leurs insignes sans payer de droit de chancellerie, le gouvernement britannique demandera au gouvernement français de vouloir bien prendre un décret collectif pour les en exonérer. C'est la situation des pêcheurs des îles Molène et d'Ouessant qui motivera cette demande du gouvernement anglais.
Fin Avril 1897, c'est sir Edmund Monson, ambassadeur d'Angleterre à Paris, qui sera chargé par la Reine Victoria, de remettre en son nom, quelques 256 médailles aux différents récipiendaires bretons. Sa mission durera 3 jours, des réceptions en grande pompe seront alors organisées pour l'occasion, dans tous les ports concernés...

 

Médaille Drummond castle recto 1896

La médaille d'argent et le diplôme d'honneur du Drummond Castle offerts par la Reine Victoria aux 256 récipiendaires.

Dans cet exemple, il s'agit de la médaille et du diplôme de Mr Joseph Berthelé, le pêcheur ouessantin qui sauva Marquardt.

Collection personnelle Loïc Malgorn

©2019 molene.fr

Médaille Drummond castle verso 1896

2 - LES CÉRÉMONIES

2-1. La remise des médailles aux Bretons en Avril 1897

Sir Edmund Monson, l'ambassadeur d'Angleterre à Paris fut désigné par la Reine Victoria pour aller en son nom, remettre aux bretons ces médailles accordées par le gouvernement anglais suite à leur dévouement pour le naufrage du Drummond Castle.

En Mars 1897, Armand Gustave Besnard (Ministre de la Marine) informe l'amiral Édouard Barrera (préfet maritime de Brest) que l’ambassadeur  Monson doit arriver à Brest le 27 Avril 1897 pour l’occasion.
Barrera se voit alors confier la mission d'organiser des cérémonies de remises de médailles sur 3 jours de présence de l'ambassadeur sur nos côtes. Charge à lui également de prévenir les municipalités concernées, de composer une délégation d’officiels qui les accompagneront et de lancer les invitations. Des réceptions devront avoir lieu aux îles Molène et d'Ouessant et à Ploudalmézeau en l'honneur de sir Edmund Monson.
Le planning suivant pour Avril 1897 est alors arrêté et communiqué en retour à l’ambassade britannique :
Le 27, remise des décorations décernées aux personnes habitant Brest ; le 28, aux îles Molène et d'Ouessant, et le 29 à Ploudalmézeau. Les conseils municipaux de ces localités devront se réunir pour voter les crédits nécessaires, préparer et mettre en place le protocole adéquat.

La direction du port a reçu l'ordre de disposer du vapeur le Laborieux pour recevoir l’amiral Barrera, préfet maritime, et la délégation des officiels qui se rendront à Molène et & Ouessant pour remettre aux autorités et aux habitants de ces îles les décorations que la reine d'Angleterre leur a accordées.

Le cimetière de Molène en 1897©L'Univers Illustré du 15 Mai 1897

Début Avril 1897, à l'île Molène, où le plus grand nombre de cadavres ont été recueillis, l’annonce d’une telle visite provoque fierté et excitation, mais aussi effervescence… les travaux de maçonnerie de la citerne offerte sont en cours, mais ne seront pas finis avant la mi-mai.
Quant à l’horloge anglaise attendue, elle n’est pas encore arrivée à Molène… Les six caisses contenant ses pièces doivent arriver à Brest dans quelques et M. Hoch, l'horloger de Londres qui arrive pour la monter et l’installer, prévoit 15 jours de travail. Elle devrait donc être visible en haut du clocher à la fin du mois…
Les six caisses destinées à M. Le Jeune, recteur de Molène, vont arriver sur l’île le 12 Avril.
Ces caisses ont été assurées pour 150 livres sterlings et leur poids total avoisinent les 1000kilos. La compagnie des chemins de fer du sud-ouest de l'Angleterre a opéré le transport gratuit jusqu'à Saint Malo et le directeur général des douanes à Paris a informé les directions des douanes de Saint-Malo et de Brest de les laisser pénétrer et circuler sans droits en France.

Le clocher que le comité anglais a décidé de faire construire au bourg de Lampaul à Ouessant sera prochainement terminé. Ce clocher sera d'une très grande utilité comme amer permettant de venir d'une façon sûre au mouillage de Lampaul. En effet, avant ça, les maisons du bourg se confondaient les unes dans les autres et ne présentaient pas, à une certaine distance, de point de repère nettement distinct…

Les conseils municipaux des îles Molène et d'Ouessant se réunissent en vue des mesures à prendre pour la réception de sir Edmund Monson :

  • A Ouessant, le conseil municipal a décidé qu'un lunch serait offert, à l'issue de la cérémonie, à sir Edmund Monson et à sa suite, ainsi qu'aux médaillés et aux membres du conseil municipal. La remise des médailles aura lieu à la mairie et le lunch dans le prétoire de la justice de paix. Le lunch sera servi par la femme du maire, Mme Malgorn, la femme du juge de paix, Mme Crenn, les femmes de l'adjoint, du premier conseiller et d'un premier maître de la marine en retraite. La salle de la mairie et le prétoire de la justice de paix seront ornés de drapeaux. La salle de la mairie ouessantine sera, d'autre part, mise complètement à neuf pour la circonstance. Un crédit de 300 Francs a été voté pour faire face à ces diverses dépenses.
  • A l'île Molène, le conseil municipal, a délibéré sur les moyens les plus convenables pour recevoir les hautes autorités qui font à l'île Molène le grand honneur de la visiter…
    Il a décidé :
    que les chemins devront être mis en bon état au moyen de prestations volontaires ;
    que des drapeaux et des pavillons seront acquis pour décorer l'école des filles où se fera la réception ;
    qu'un vin d'honneur sera offert à sir Edmund Monson et à sa suite ;
    que des jeunes filles seront désignées pour leur offrir des fleurs ;
    que des feux de salve seront exécutés par les jeunes marins de l'île ;
    que les cloches sonneront à toute volée ;
    que les embarcations du port seront pavoisées.

Les procès-verbaux des réunions des conseils municipaux de Molène et d'Ouessant ont été transmis à l'amiral Barrera, qui les adressera à sir Edmund Monson.


Changement de planning et de programme...

Sir Edmund Monson, l’ambassadeur retenu pour affaire à Nice auprès de la Reine, ne pourra finalement pas être disponible pour les 3 jours de cérémonies. Il nomme donc à son tour un remplaçant, Sir Martin le Marchant Hadsley Gosselin, ministre plénipotentiaire d'Angleterre alors en poste à Paris, pour le remplacer les 2 premiers jours de son absence.
Pour accompagner Sir Le Marchant-Gosselin, la délégation officielle est composée de MM. Saint-Olive, représentant M. Hanotaux, ministre des affaires étrangères, l'amiral Barrera, préfet maritime, Austin Lee, 1er attaché de légation, le commandant Paget, attaché naval, Marling, 1er attaché d'ambassade, Hoare, consul, et Bonar, vice-consul d'Angleterre à Brest, et Barthes, lieutenant de vaisseau, aide de camp du préfet maritime.

Il est aussi décidé de commencer du coup, par les cérémonies aux îles Ouessant et Molène sur 2 jours, puis au retour de Sir Edmund Monson, ce sera Brest et enfin Ploudalmézeau le 3ème jour. Pour les autres ports à l'honneur, les cérémonies auront lieu à bord du bateau et non à terre (faute de temps).
Voici le programme officiel :

  • Mardi 27 Avril 1897 : Avec Sir Le Marchant-Gosselin
    Prière aux morts aux Pierres Vertes (Zone du naufrage), cérémonie de remise de médailles et repas du midi à Ouessant, cérémonie de remise de médailles au Conquet en fin d'après-midi.
  • Mercredi 28 Avril 1897 : Avec Sir Le Marchant-Gosselin
    Déjeuner à bord de l'Australia. Cérémonie de remise de médailles et lunch à Molène, cérémonie de remise de médailles à Camaret en fin d'après-midi.
  • Jeudi 29 Avril 1897 : Avec Sir Edmund Monson
    Cérémonie de remise de médailles et repas à Brest, cérémonie de remise de médailles à Ploudalmézeau.

Lundi 26 Avril 1897,

Le croiseur anglais « L’Australia », qui doit représenter le gouvernement anglais à Brest pendant la durée des cérémonies de la remise des médailles du Drummond-Castle, est arrivé sur rade ce lundi matin vers 10h. Après avoir pris son corps-mort, il salua la terre d'une, salve de 21  coups de canon. La batterie du Parc-au-Duc au Château,  lui  répondit coup pour coup.
M. Martin Le Marchant-Gosselin, ministre plénipotentiaire d'Angleterre à Paris, arrivera à Brest dans la journée.

 

Le HMS Australia (Classe Orlando) de la Royal Navy 1886-1905©Wikipédia

Sir Martin le Marchant Hadsley Gosselin, ministre plénipotentiaire d'Angleterre
Photo de 1902©Wikipédia

Mardi 27 Avril 1897,
Mardi matin, à 11 heures, M. Gosselin quitta la préfecture maritime pour se rendre dans le port de guerre, en passant par la Porte Tourville.

 

Au pont Tréhouart, M. Gosselin, l'amiral Barrera et leurs suites prirent place dans le canot à vapeur du préfet maritime et dans celui du contre-amiral major de la Flotte, qui les conduisirent à bord de L’Épervier en rade. A leur passage au Fer-à-Cheval, la batterie du Parc-au-Duc tira une salve de 13 coups de canon.

"L'Epervier" et "L’Australia" tirèrent chacun une salve identique et hissèrent leurs petits pavois..

 

"L’Épervier" ayant le pavillon anglais au sommet du grand mât et le pavillon de l'amiral Barrera au mât de misaine, appareilla vers 11h45 et prit la direction des Pierres Vertes, lieu du terrible naufrage.

CPA "L'Épervier" Contre-torpilleur©PB Cherbourg

A 14h, le croiseur-torpilleur arriva sur la zone du naufrage. Une sonnerie de clairon appela l'équipage comme pour une inspection; trois coups de canon étaient  tirés et les drapeaux mis en berne.

 

Tous les passagers se découvrirent et l'Amiral Barrera se plaça seul en haut du  gaillard d'arrière pour prononcer les paroles suivantes :
« Mes amis, il y a un an, un grand paquebot anglais, le Drummond-Castle, s'est perdu ici. Les marins sont de tous les pays et sont tous des frères, aussi, mes amis, nous ne pouvons passer à  l'endroit  où tant de marins reposent sans  leur adresser un souvenir et  sans dire pour eux une prière. »
La  prière fut dite par un timonier et  ce fut dans une émotion générale et à peine contenue que tous les assistants découverts, visiblement émus, y  répondirent.

 

A la fin de la prière, Mr Mirrielees de la Castle Line s'avança vers l'amiral et le remercia chaleureusement. Le bateau fit alors route vers Ouessant…

 

A BORD DE "L'ÉPERVIER" - Le salut aux naufragés du "Drummond Castle", près des Pierres Vertes. Gravure signée "Bellenc-ER"
©
L'Illustration N°2829 du 15Mai1897

À OUESSANT

Les   deux canots de sauvetage, avec leurs drapeaux blancs, portant une étoile bleue et l'inscription « Virtus & spes » (courage et espoir), viennent  chercher les passagers.
A son débarquement, le Ministre anglais est reçu par M. Malgorn Jean-Marie, maire, et  M. Malgorn Charles, adjoint, portant  leurs écharpes, par le Conseil Municipal, le Curé et les Vicaires, le Maître de port et le Garde maritime. Le Maire remercie le Ministre plénipotentiaire anglais et le Préfet Maritime d'avoir bien voulu honorer l'Ile d'Ouessant  de leur visite. Trois fillettes s'avancent avec des bouquets qu'elles vont offrir au Ministre, au Préfet Maritime et au  Sous-Préfet, en leur faisant un petit compliment.
On se dirige ensuite vers la salle de la mairie, ornée avec beaucoup de goût.

Remise des medailles d'honneur à Ouessant©The Graphic 08Mai1897

L'Amiral  Barrera  préside, ayant à sa  droite le Ministre plénipotentiaire et à sa gauche le Sous-Préfet. Avant  de commencer la remise des décorations, l'Amiral  Barrera prononce un discours.
Puis, le Ministre prend  la parole : (Discours de M.  Le Marchant-Gosselin)
« Sa Majesté mon Auguste Souveraine m'a confié  le mission flatteuse de vous remettre los médailles d'honneur  commémoratives destinées à  rappeler l'humanité et la charité des habitants de cotte Ile, ainsi que la côte avoisinante, envers les victimes du naufrage du Drummond-Castle. La Reine, ainsi quo toute la nation anglaise, dés   qu’Elles ont  connu ce sinistre affreux  et les soins pieux qui  avaient  été  prodigués aux malheureux naufragés,  on ont été  profondément  touchées. Tout  récemment,  Sa  Majesté, qui vient  de passer quelques jours sur la côte d'azur de votre beau pays, chargeait sir Edmund Monson, ambassadeur  à Paris,  de la mission que j'accomplis pour lui aujourd'hui et lui recommandait  de bien dire aux Bretons, combien Elle avait  été  profondément touchée des actes d'humanité  accomplis par  eux et avec quelle reconnaissance elle les remerciait  des soins qu'ils avaient eu pour les survivants et  du respect qu'ils avaient montré pour les morts. En vous rapportant  ces paroles de ma  gracieuse Souveraine, j’aime à espérer que ces médailles serviront  longtemps à rappeler à leurs titulaires que leur bonté pour mes compatriotes a été hautement appréciée par Sa  Majesté, la  reine Victoria, et  par tout  son peuple ».
Ensuite, M. Barthes,  aide-de-camp  du Préfet  Maritime, fait  l'appel des décorés. Parmi eux nous avons remarqué  le vieux pécheur Berthelé, qui recueillit  dans  sa  barque M. Marquardt, l'un des trois survivants du naufrage. Nous avons vu aussi un enfant de 15  ans venir, à l'appel de son  nom, chercher sa médaille. Il  est  vivement  félicité et l'Amiral Barrera lui dit : «  Vous commencez jeune à avoir des médailles ; continuez, mon ami. »
La cérémonie terminée, on se dirige vers le cimetière où le Ministre, le Préfet  et  le Sous-Préfet  déposent sur les tombes des  victimes les bouquets qu'ils viennent  de recevoir des petites Ouessantines. M. l'abbé  Salaun,  curé  d'Ouessant, au milieu de l'assistance recueillie, rappelle la terrible catastrophe du Drummond-Castle et souhaite une union plus étroite entre les deux pays. Il  remercie M. Mirrielees, secrétaire du comité anglais qui s'est formé pour  faire construire une flèche au clocher de l'église, et  M. l'Amiral  Barrera, pour le témoignage de satisfaction qu'il  a bien voulu adresser  aux  habitants de l'Ile, au nom  du gouvernement, à  l'occasion  de leur belle conduite.
M. le Curé  dit  ensuite un "De profundis" pour les victimes inhumées dans ce cimetière.

 

Mercredi 28 Avril 1897,
A 10h, M. Martin Le Marchant-Gosselin et sa suite se dirigent vers le pont Tréhouart (l'embarcadère, était orné de draperies tricolores et de drapeaux anglais), pour prendre place dans le canot à vapeur de la préfecture maritime, qui les conduisit à bord du croiseur anglais « L’Australia », où un déjeuner y  était donné en leur honneur.
A l'arrivée du ministre plénipotentiaire anglais à la coupée de « L’Australia », le commandant William A. D. Acland fit hisser au grand mât son pavillon, qui est surmonté d'une couronne royale, et une salve de treize coups de canon fut tirée. En rade, tous les bâtiments, le Borda, la Bretagne, le Bougainville, les annexes des bâtiments-écoles

avaient le petit pavois, de même que la Drame, le Nielly, le d'Assas, et le bâtiment central de la réserve.
A 11h, le déjeuner prit fin et la délégation, accompagnée d’attachés à l’ambassade anglaise et quelques officiers de « L’Australia » retournait à quai et embarquait à bord du croiseur-torpilleur français « L’Épervier », qui leur rendit les honneurs militaires. Peu après arrivèrent également à bord de « L’Épervier » : MM. le contre-amiral Le Borgne de Kérambosquer, major général, Ramondou, sous-préfet, Deschard, commissaire général, le colonel Nény, du 6ème régiment d'infanterie de marine, commandant la 2ème brigade de marine par intérim, le capitaine Grossin, de la gendarmerie départementale, et Mirrielees, l'un des directeurs de la compagnie Castle Line et gendre de Sir Donald Currie, de Londres et quelques journalistes invités.

 

M. Le Gall, chef de l'atelier de la photographie des constructions navales, prit des clichés des diverses autorités françaises et anglaises groupées sur le gaillard arrière. Puis le navire fit route vers Molène...

Les autorités à bord de l'Epervier (Photo Le Gall)

À MOLÈNE

Les bateaux pavoisés dans le port de Molène (Photo MJ_Thoulet)

L'Epervier appareille à 11 heures 1/4 pour Molène, où il arrive vers 1 heure 1/4. Les bateaux sont tous pavoisés dans le port. L'île est en fête, les ruelles sont colorées, tout le monde attendait ce moment...
Les cloches sonnent à toute volée.
Les autorités descendent à terre par le bateau de sauvetage. Au débarcadère se trouvent MM. Masson, maire, Joly, adjoint, l'abbé Le Jeune, recteur de Molène, Colin, syndic, Le Bousse, maître de port.
Le Maire s'avance et souhaite la bienvenue aux autorités. Le Ministre serre chaleureusement la main de l'abbé Le Jeune et le remercie du dévouement dont il a donné tant de preuves, lors du naufrage du Drummond-Castle.
Le cortège se forme en peu d'instants; en tête marchent douze pécheurs, armés de fusils. On arrive devant la demeure de Mlle Séraphique Cuillandre, où furent déposés les 29 victimes qui reposent dans le cimetière de Molène. L'Amiral Barrera présente au Ministre anglais Mlle Séraphique Cuillandre qui a enseveli tous les morts et a fait preuve du plus grand dévouement. Le Ministre la remercie, lui serre la main et le cortège se remet en marche vers l'abri du bateau de sauvetage, où doit avoir lieu la remise des médailles...

A Molène
L'arrivée. — Le débarquement. — l’île en fête.
En face du Conquet, une barque de pêche, qui passe à la hauteur de l’Épervier, hisse son petit pavois.
A 1h10, on aperçoit l’île Molène et à 1h25, l’Épervier mouille en face du port... (lire la suite ci-dessous)

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A Molène
L'arrivée. — Le débarquement. — l’île en fête.
En face du Conquet, une barque de pêche, qui passe à la hauteur de l’Épervier, hisse son petit pavois.
A 1h10, on aperçoit l’île Molène et à 1h25, l’Épervier mouille en face du port.
Du môle, des jeunes marins de l’île exécutent alors plusieurs feux de salve succésifs.
Dans le port, toutes les barques sont pavoisées. Le bateau de sauvetage vient vers l’Épervier. Il est commandé par son patron Mr Goachet (Étienne), Mr Cariou (Yves), le brigadier tient la gaffe. L’équipage est composé de dix rameurs portant tous la ceinture de sauvetage et dont plusieurs portent des médailles de sauvetage ou de commémoratives. Dans la chambre du canot ont été déposés des tapis verts et jaunes avec des dessins allégoriques.
Les torpilleurs 182 et 187, de la défense mobile, qui escortent L’Épervier, viennent mouiller dans le port.
M. Martin Le Marchant-Gosselin et les autorités françaises et anglaises sont conduits à terre par le bateau de sauvetage.
A leur débarquement, douze jeunes gens de l’île, rangés sur le quai, portent et présentent les armes, puis font un feu de salve. Toute la population entoure la jetée. Le Maire M. Masson, et le recteur, M. Le Jeune reçoivent le ministre plénipotentiaire anglais et lui souhaitent la bienvenue.
Le conseil municipal, le syndic et les diverses autres autorités de l’île sont également présents sur la cale de débarquement. On remarque, en outre, MM, Levasseur, maire, et Pethiot, adjoint au maire du Conquet ; Briant, receveur des Postes et  Télégraphes ; et Rozagoute, commis du commissariat de la marine au Conquet, tous
titulaires de la médaille du Drummond-Castle, etc…
Des jeunes filles répandent des fleurs sur la cale. Le long du môle, une quarantaine de vieux serviteurs de la patrie, portant des médailles de Crimée, de la Baltique, d'Italie, etc., sont militairement alignés et saluent les autorités françaises et anglaises à leur passage.

Un compliment
A l'entrée de l'île, des poteaux sont reliés entre eux par des tentures rouges et bleues. Sur l'une des tentures on lit :
« Vive l'ambassadeur ! Vive la reine Victoria ! » Sur l'autre : « Vive le préfet ! Vive la République ! » Le débit de Mme
Cuillandre, où les cadavres des victimes du Drummond-Castle ont été ensevelis, est pavoisé et orné de lanternes multicolores. Quand le ministre plénipotentiaire anglais passe en face du débit, l'amiral Barrera fait appeler Mlle Séraphique Cuillandre, dont la conduite fut admirable de dévouement lors de la catastrophe du Drummond-Castle. M. Martin Le Marchant-Gosselin la remercie et la félicite. Le ministre plénipotentiaire anglais- se rend au hangar du canot de sauvetage, où doit avoir lieu la remise des médailles. Sur tout le parcours, des oriflammes multicolores ont été suspendues à des poteaux surmontés de drapeaux. A l'entrée du hangar, la jeune Hortense Cuillandre lit
au ministre plénipotentiaire anglais le petit compliment suivant :
« Monsieur le ministre,
Au nom des petits enfants de Molène, j'ai été désignée pour vous offrir ce bouquet. C'est chez ma mère et ma tante qu'ont été recueillis et veillés les petits enfants noyés avec les grandes personnes dans le naufrage du navire anglais.
Vous avez fait du bien à notre île. Merci, monsieur le ministre. Notre mère nous fait prier pour la France ; nous demanderons aussi à Dieu d'éloigner de votre pays les grands malheurs afin que votre reine soit heureuse. »

M. Martin Le Marchant-Gosselin la remercie et l'embrasse, puis les jeunes Philomène Dubosq, Angèle Le Bousse et
Jeanne Masson présentent des bouquets au ministre plénipotentiaire anglais. Les jeunes marins de l'île exécutent un nouveau feu de salve, puis la remise des médailles commence. L'amiral Barrera, qui préside, a à sa droite M. Martin Le Marchant-Gosselin et à sa gauche M. Ramondou. Les autres autorités prennent place dans les côtés.
L'amiral Barrera prononce d'abord le discours suivant :
Discours de l'amiral Barrera
« Mes amis,
Vous avez gardé le souvenir du terrible accident arrivé l'année dernière au paquebot anglais le Drummond-Castle qui, par une nuit profonde, vint se briser sur un écueil et disparaître en peu d'instants dans les eaux du Fromveur. Le choc fut si soudain, le désastre si prompt que tous à bord, équipage et passagers, entraînés dans l'abîme et livrés à la merci des flots, se trouvèrent sans défense pour échapper à la mort. Le nombre de ces infortunes était de 250 ; ils périrent, à l'exception de trois d'entre eux, deux marins et un passager qui, portés sur des épaves, furent recueillis le lendemain par des Bateaux de pêche, au moment où, brises de fatigue, ils allaient succomber à leur tour. Mathieu Masson, un des vôtres, fut assez heureux pour ramener dans sa barque, la Couronne de Marie, deux des trois survivants, le quartier-maître Wood et le matelot Godbolt. Ce sauvetage, accompli dans des conditions difficiles, fait le plus grand honneur à l'intelligence et à l'énergie de ce vaillant marin, auquel je suis heureux d'adresser, devant vous, mes plus chaudes félicitations.
Les autres pêcheurs de Molène ne restèrent pas inactifs et, aussitôt prévenus de la triste nouvelle, ils prirent la mer sans hésitation, pour se mettre à la recherche des victimes. Grâce à leurs persévérants efforts, trente cadavres furent retirés des eaux et ramenés dans l'île, où ils reçurent de la population les soins les plus touchants et les plus empressés. Clergé, fonctionnaires, pêcheurs, commerçants, tous, profondément affligés d'un tel malheur, rivalisèrent de zèle et de sollicitude pour rendre aux pauvres naufragés, avec toute la sincérité de leur cœur, des honneurs aussi dignes que possible de leur grande infortune. Ces manifestations sincères et toutes spontanées ne devaient pas passer inaperçues. Sa Majesté la reine d'Angleterre, pour donner aux vaillantes populations du pays un éclatant témoignage de son estime, a non seulement institué une médaille pour honorer leur dévouement, mais encore pour rehausser le prix d'une telle faveur, elle a charge un de ses représentants les plus éminents de venir, ici même, la distribuer en son nom. Beaucoup d'entre vous vont recevoir cette flatteuse distinction. Le nombre des médailles d'honneur à remettre aux seuls habitants de cette île est de 86. Chiffre éloquent disant mieux qu'un long discours combien la générosité et le dévouement sont vertus familières aux braves gens de Molène.
Remercions de tout cœur Sa Majesté la reine Victoria et adressons-lui, par l’intermédiaire de son haut représentant, l'hommage de nos profonds sentiments de gratitude et de respect. N'oublions pas les pauvres victimes que Dieu vous a confiées et qui reposent, là-bas, à l'ombre de votre église ; adressons-leur un pieux souvenir et faisons parvenir à ceux qui les pleurent, de l'autre côté du détroit, l'expression de nos douloureux regrets et de notre vive sympathie… »


- « Bravo ! Bravo ! » crient les pêcheurs. « Vive l'amiral Barrera ! Vive la reine d'Angleterre ! Vive le ministre ! »…

M. Martin Le Marchant-Gosselin, au nom de la reine d'Angleterre, remercie, à peu près dans les mêmes termes qu'il
l'avait fait la veille pour les habitants d'Ouessant, les habitants de Molène pour leurs sentiments d'humanité et de charité. Il leur répète ensuite les paroles de sa souveraine à sir Edmund Monson, au sujet de ses sentiments à l'égard des Bretons. Les paroles du ministre plénipotentiaire anglais sont aussi très vivement applaudies et la remise des médailles commence.
Mme Cuillandre, débitante, est la première appelée.
M. Martin Le Marchant-Gosselin la félicite et lui serre la main.
Le ministre anglais attache ensuite la médaille sur la soutane de l'abbé Lejeune.
Ernest Masson possède déjà deux médailles de sauvetage en argent, dont une de 1ère classe. Ses deux fils obtiennent aussi chacun une médaille du Drummond-Castle. L'amiral Barrera les félicite.
Vient ensuite le vieux Masson, père de Masson (Mathieu), le patron de la Couronne de Marie, qui a sauvé les matelots Wood et Godbolt.
«  Ah ! » dit l'amiral Barrera en l’apercevant, « voici le père de Mathieu Masson » et il lui tend la main. M. Martin Le Marchant-Gosselin remet au père Masson la médaille qui lui est attribuée.
« Vive la reine d'Angleterre ! Vive l'amiral Barrera ! Vive l'aide de camp ! Vive la société ! » dit le vieux pêcheur en partant.
Mathieu Masson, le sauveteur de "Wood et Godbolt, est déjà titulaire de la médaille du Lloyd et de celle du Board of Trade. Les deux hommes qui composaient son équipage sont aussi titulaires des mêmes médailles anglaises.
La cérémonie de la remise des médailles terminée, l'abbé Lejeune prononce le discours suivant :
Discours de l'abbé Lejeune
« Excellence,
De par Sa Majesté la reine du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Islande, vous avez daigné venir jusque dans cette petite île remettre à de nombreux habitants de Molène et à leur recteur des médailles commémoratives à l'occasion de ce que nous avons pu faire lors du naufrage du Drummond-Castle.

Nous sommes à la fois et confus et touchés de ce très grand honneur. Je n'ai fait que mon devoir, et mes paroissiens ont la conviction d'avoir obéi seulement à un sentiment d'humanité. A personne ici, je puis le dire, il ne viendrait à la pensée qu'on pût avoir des adversaires ailleurs que sur le champ de bataille, et il est tout naturel d'abandonner un
instant ses travaux quotidiens pour essayer de sauver la vie ou assurer les honneurs de la sépulture à de malheureux naufragés. Deux victimes vinrent nous apprendre l'épouvantable catastrophe. Pendant que, comme président du comité de sauvetage, j'ordonnais de lancer le canot, spontanément tous les marins-pêcheurs coururent scruter les récifs et les rochers à la recherche des survivants ou des morts.
Inoubliable spectacle que celui dont nous fûmes témoins… Trente-trois cadavres furent successivement recueillis et vingt-neuf furent ensevelis dans notre cimetière. Mais dites, Excellence, dites à vos compatriotes, aux parents des victimes qu'on a eu pour les hommes les plus grands égards et pour les femmes des soins respectueusement délicats. Pour le pauvre petit bébé d'un an, une femme a eu les tendresses d'une mère. Leur convoi à tous a été suivi par une foule recueillie, par de rudes marins qui ne pouvaient eux-mêmes retenir leurs larmes. Si leur tombe est sur une terre étrangère, les malheureux reposent du moins jusqu'au jour de la Résurrection à l'ombre d'une église, sous les bras de la croix, notre commune espérance, et pour eux, je crois pouvoir l'assurer, les prières ne tariront jamais.
Emporté par la reconnaissance, le peuple anglais a voulu laisser aux Molénais des souvenirs durables Merci au digne M. Hoch, qui s'est pendant quinze jours confiné dans notre île pour exécuter ces travaux, à M. le dévoué conducteur des ponts et chaussées. Pour l'Angleterre je vous prie, Excellence, d'être notre interprète. Au nom de mon église,
au nom de M. le maire et de la municipalité, au nom de tous les habitants de l'île, j'adresse mes remerciements à la généreuse donatrice de notre belle croix de procession, à la société de toutes les âmes « The Guild of all Souls »,
aux différents comités, au peuple anglais, a Sa Majesté la reine Victoria.
Dans une lettre qu'il avait bien voulu m'adresser pour me faire part de ces intentions, sir Russel exprimait le vœu de voir régner toujours entre nos deux peuplas une union bien intime. Rien n'est plus conforme à nos désirs. Prêtre et patriote, à la condition je crois superflu de l'exprimer! que les intérêts et l’honneur de la France n'entraine jamais à
souffrir, je souhaite de tout mon cœur l'union entre nos deux pays, et à la prière spontanée qui jaillit de nos cœurs : Dieu protège la France ! Nous ajoutons bien sincèrement : Dieu protège le peuple anglais ! Dieu protège la gracieuse reine ! »


Un vieux brave
La cérémonie terminée, M. Martin Le Marchant-Gosselin quitte le hangar du canot de sauvetage. A la porte, un vieux
pilote en retraite, Cuillandre (Vincent), arrête l'amiral Barrera pour lui dire qu'il a été embarqué sur la corvette de l'école navale en 1852-1853, alors qu'il était élève.
« Ça ne nous rajeunit pas, mon brave », lui dit l'amiral Barrera, « mais il est heureux de se retrouver encore comme ça. »
Le vieux pilote est, en effet, encore vert, malgré son grand âge. C'est lui qui, lors du naufrage de la Ville du Havre, en 1873, sauva dix-neuf personnes. Sur le quai, devant le hangar du bateau de sauvetage, M. Le Gall photographie en
groupe le ministre anglais, l'amiral Barrera, M. Ramondou, le maire, le curé, le syndic et les femmes médaillées de l'île.

Au cimetière

M. Martin Le Marchant-Gosselin se rend ensuite au cimetière, en passant par une route que les insulaires ont remise en état par des prestations volontaires. Devant l'église se trouvent treize tombes contenant des victimes du Drummond-Castle. Elles consistent simplement en un petit rectangle de terre entouré de galets et orné de coquillages. Sur la croix de l'une d'elles on lit : « Ici repose mon fils chéri Frank Desuzinge, âgé de trois ans, qui périt dans la nuit du 16 au 17 juin 1896 avec le Drummond-Castle. » A côté est la tombe de miss Olive et plus loin des tombes de victimes dont l'identité n'a pu être reconnue.
Le commandant Poidloué, de la défense mobile, et M. Barthes, aide de camp de l'amiral Barrera, déposent des couronnes sur les tombes. Un marin de la défense mobile dépose aussi, au nom des officiers des torpilleurs 182 et 187, une, ancre en mousse garnie de fleurs.
L'abbé Lejeune dit un De profundis pour les victimes du Drummond-Castle, puis la visite du cimetière continue par la partie située à droite de l'église, où se trouvent d'autres tombes de victimes du naufrage.
Sur l'une d'elles on lit : « Ici repose ma bien-aimée épouse Marie Desuzinge, née Fillion, âgée de 31 ans, qui périt avec ses quatre enfants dans le naufrage du Drummond-Castle, dans la nuit du 16 au 17 juin 1896. »
Sur les autres tombes on relève des inscriptions du genre de celle-ci :
« Ici repose le corps de M. — N° 10. — 5 D. M. »

L'horloge et la citerne
En quittant le cimetière, le ministre plénipotentiaire anglais se rend à l'église, où l'abbé Lejeune lui montre les cadeaux qu'il a reçus d'Angleterre : une croix de procession, un calice en or avec quatre-vingt brillants, etc.
L'église est pavoisée pour la circonstance. Dans le bas de la nef, sur une plaque de cuivre appliquée au mur, on lit :
« A l'ombre de cette église reposent vingt-neuf personnes qui ont péri dans le naufrage du paquebot anglais le Drummond-Castle, perdu dans le passage du Fromveur, pendant la nuit du 16 juin 1896.
« En mémoire reconnaissante des soins pieux prodigués par les habitants de l'île Molène aux malheureuses victimes de cette catastrophe, l'horloge de cette église et la citerne avoisinante ont été données par le peuple anglais. »
Le ministre plénipotentiaire anglais monte dans la tour, où M. Hoch, l'horloger de Londres chargé par le comité anglais de la fourniture et de la pose de l’horloge, lui explique son fonctionnement. Cette horloge, dont nous avons donné une description détaillée, est un chef-d'œuvre de mécanique.
M. Martin Le Marchant-Gosselin visite aussi les travaux de construction de la citerne grâce à laquelle l'île Molène ne
manquera plus à l'avenir d'eau douce. Les travaux, déjà avancés, seront terminés vers le milieu du mois de mai.

Le lunch
Un lunch a lieu ensuite dans l'une des classes de l'école des filles, décorée de drapeaux anglais et français. Dans le fond se trouve la photographie du Drummond-Castle dans un cadre doré.
Le lunch, des mieux servis, fait honneur à Mme Colin, femme du syndic, qui a présidé à son organisation et qui, à ce
titre, a été vivement félicitée. A la table des officiers de L’Épervier, notre excellent confrère Bois-Glavy, du Journal, porte, au nom de la presse, un toast au commandant Pailhès, qu'il remercie de sa courtoisie et de son amabilité.
L'amiral Barrera, apercevant dans la salle un groupe de femmes décorées de la médaille du Drummond-Castle, s'avance vers elles avec sa coupe de Champagne et il porte un toast à leur santé.
« Je bois, dit-il à toutes les femmes de Molène qui se sont dévouées lors du naufrage du Drummond-Castle. Ici, les femmes sont aussi braves que les hommes. »
« Vive l'amiral Barrera ! »  crient à pleins poumons les pêcheurs répartis dans la salle.

Avant de quitter l'école, M. Martin Le Marchant-Gosselin fait venir à la table d'honneur une dizaine de petites filles de l'île et leur remet à chacune une pièce d'or. L'abbé Lejeune invite ensuite les autorités françaises et anglaises à venir visiter son presbytère, qui, comme on le conçoit, est des plus modestes. M. Martin Le Marchant-Gosselin examine avec curiosité la mobilier rustique de l'abbé, qui comprend notamment un lit clos.
L'abbé Lejeune montre au ministre plénipotentiaire anglais les nombreuses lettres qu'il a reçues d'Angleterre à la suite du naufrage du Drummond-Castle.
Le ministre plénipotentiaire anglais et l'amiral Barrera visitent ensuite le débit de Mme Cuillandre, puis ils s'embarquent dans le canot de sauvetage, qui les conduit à bord de L’Épervier. Sur le quai, les jeunes marins de l'île exécutent encore plusieurs feux de salve, tandis que les enfants entonnent en chœur la Marseillaise.
De nombreuses barques de pêcheurs font escorte au canot de sauvetage et aux autres embarcations, qui conduisent à bord de l’Épervier les autres autorités françaises et anglaises. Plusieurs femmes rament.
A 3h30, L’Épervier appareille pour Camaret. Miss Blanche Oran, reporter au Daily Chronicle, de Londres, et miss
Evelyn Glover, qui l'accompagne, arrivées le matin à l'île Molène, venant de Saint-Malo, ont été autorisées par l'amiral Barrera à prendre passage sur L’Épervier…

À BREST

ARRIVEE DE SIR MONSON...
Sir  Edmund Monson, Ambassadeur d'Angleterre, est  arrivé  le mercredi à  Brest, par le train de 22h. 12 ; il  a été  reçu à la gare par M. l'Amiral Barrera, M. Ramondou, sous-préfet, M. Delobeau, sénateur-maire de Brest, MM. Hoare,  consul et Bonar, vice-consul   d'Angleterre, M. Anner, adjoint-maire, M. Amiot, aide de camp du Préfet Maritime, M. Acland, commandant  de Australia.

Jeudi 29 Avril 1897,
A L’HOTEL DE VILLE DE  BREST
L’ambassadeur Britannique est reçu à  l'hôtel de ville dans la salle du conseil municipal. Un assez grand nombre d'officiers de l’Australia s'y sont rendus déjà. Le conseil municipal  est au complet. A un discours de l'Amiral Barrera, Sir Edmund Monson lit  la réponse ci-dessous (voir le Discours ci-dessous  de l'Ambassadeur)

Puis M. le Maire invite Son Excellence à  prendre part  au lunch  qui est préparé,  et  va  offrir deux bouquets aux Misses Hoare.
Au  Champagne, M. Delobeau porte la santé de la Reine et  du peuple anglais. Sir Edmund  Monson répond  par un toast  au Président  de la  République et  à la  France.  Les deux toasts sont suivis de trois hourrahs !

Sir Edmund Monson 29 Août 1896 The new BritishAmbassador to the French Republic
Image © Illustrated London News Group

(...)
« Je regrette profondément qu'à cause des exigences du service public, j'aie été empêché d'arriver à Brest lundi soir et que j'aie été forcé de déléguer à  M. Gosselin les devoirs qui m'incombaient. C'est un grand  désappointement pour moi de ne pas avoir pu me rendre aux localités intéressantes dont  la perspective de la visite m'avait tellement attiré; et  que j'aie été  privé  du plaisir de voir un grand  nombre de ceux dont j’ai tant désiré de faire la connaissance, et à qui j'aurais voulu communiquer de vive voix le Message Royal qui m'a été confié. Tout ce que j'aurais dû  faire et  dire à ces occasions a été  dignement et solennellement accompli par celui à qui la Reine m'a autorisé à déléguer mes fonctions, grâce aux soins que Mr le Préfet maritime a bien voulu mettre à  l'arrangement d'un programme, lequel, favorisé  heureusement par un temps exceptionnellement propice, a pu être exécuté dans toute sa plénitude avec un succès qui n'a laissé rien à  désirer.
J'avoue en toute franchise qu'il  m'est difficile de trouver des mots pour exprimer l'impression  profonde que le récit  de tous les détails de ce programme m'a inspiré. Les coups de canons tirés à  l'endroit même du désastre,  retentissant sur les eaux  dans  lesquelles les malheureux ont été engouffrés, et  rendant  à  leur mémoire les derniers honneurs ; les prières des marins; l'accueil fait aux représentants de  la  Reine par  toute  la population des îles :  la visite au cimetière où  reposent  les restes  humains de mes malheureux compatriotes,  recueillis avec tant de tendresse et  de charité  par ces gens dévoués; l'office funèbre prononcé  encore une fois par le digne prêtre qui, il  y  a un an, les consigna à  leur dernière demeure ; toutes ces démonstrations qui ont  tellement  augmenté l'importance et la  solennité de la  distribution des   médailles, seront  appréciées à leur juste valeur par la Reine qui s'est  si vivement  intéressée à   tout ce qui a rapport à  l'événement déplorable de  l'année passée, et  par  ses  sujets qui  partagent  unanimement ses sentiments de reconnaissance et  d'admiration.
Monsieur Gosselin a profité  de chaque occasion qui  lui  a été fournie par la  distribution des médailles pour répéter le message que la Reine m'a  confié,  il y a seulement trois ou quatre semaines, quand  j'ai vu  Sa Majesté dans le midi de la France. Vous me permettrez   pourtant  de réitérer ces paroles à  chaque occasion où  je me trouve en présence des  intéressés. «  Dites à  ces bons Bretons, »  m'a dit  S. M. «combien j'ai été  touchée de la charité  si large de  leur  cœur, et avec  quelle reconnaissance je les remercie des soins et  de la compassion qu'ils  ont eus  pour  les vivants;  du profond respect  qu'ils ont  témoigné  aux morts. »  En  vous répétant  ces  paroles, je n'ai  qu'il ajouter qu'elles représentent  les   sentiments,  non seulement de Sa  Majesté,  mais  de tous  mes   compatriotes. Puissent  les  médailles que je  vais  maintenant  distribuer  vous  rappeler toujours les paroles que je viens de prononcer de la part de la Reine, ainsi que les assurances que je vous donne au nom de la  Nation anglaise  que  le  souvenir do vos bienfaits,  de votre charité, de votre sympathie restera éternellement  gravé  dans  les cœurs d'un  peuple reconnaissant. »

AUTRES LIEUX & AUTRES INFOS

  • Au Conquet :
    13 décorations seront remises, à bord de l’Epervier, le 27/04 à 18h (cause de l'heure avancée, la délégation n"est pas pas descendue à terre. Les décorés avaient été prévenus d'avoir à se rendre à bord. L'Amiral Barrera leur dira : «Nous n'avons pu descendre à terre pour vous remettre vos médailles; mais un bâtiment de guerre, c'est toujours la Patrie, n'est-ce pas? »
  • À Camaret :
    Le mercredi 28/04, l’Epervier appareillera de Molène vers 15h30 pour Camaret, où il arrivera à 17h30. Comme pour le Conquet, la remise des 8 médailles aura lieu à bord. Parmi les récipiendaires, se trouve Mme Dorso, âgée de 80 ans. Remerciant le ministre qui vient de lui accrocher la décoration sur sa poitrine, elle répondra :
    « Ce que j'ai fait, Monsieur le Ministre, toute autre l'eût fait à ma place. J'ai été heureuse d'accomplir ce devoir. J'ai un fils qui est mort dans des circonstances semblables, laissant plusieurs orphelins. Nous ne formons qu'une famille... »
  • À Ploudalmézeau:
    Jeudi 30/04, un train spécial pour Ploudalmézeau avait été mis gracieusement par la Compagnie des Chemins de fer départementaux à la disposition de l'Administration de la Marine. Ce train partira de Brest à 13h15, et arrivera à Ploudalmézeau à 14h30. À à la mairie, décorée de nombreux drapeaux tricolores et de drapeaux anglais, 63 médailles seront remises selon ce décompte : Ploudalmézeau, 9; Portsall, 40; Landunvez, 2 ; Saint-Renan, 5 ; Porspoder, 2 ; Saint-Pabu, 8; l'Aberwrac'h, 1, et Plouescat, 1. Après les dicours d'usage, la visite là aussi du cimetière, un punch fut servi en Mairie, et la délégation reprendra le train vers 17h30.

LISTE DES DÉCORÉS & DÉTAILS

  • Voici la liste complète des médaillés du Drummond Castle avec nom et prénom, localité, classés par catégories.
    (Publiée le 28/05/97 par The London Gazette)
  • 253 médailles au total ont été distribuées par Sir Edmund Monson et Sir Martin Le Marchant-Gosselin pendant ces 3 jours.
  • La 253ème médaille a été remise le jeudi à la préfecture maritime, par sir Edmund Monson à M.Barthes, lieutenant de vaisseau, l'un des aides de camp de l'amiral Barrera, pour son aide précieuse.
  • Les titulaires des médailles du Drummond-Castle ne recevront leurs diplômes qu'après que leurs noms auront paru dans le Journal officiel anglais.
  • Afin de permettre aux titulaires de médailles de porter leurs insignes sans payer de droit de chancellerie, le gouvernement britannique demandera au gouvernement français de vouloir bien prendre un décret collectif les en exonérant. C'est la situation des pêcheurs des îles Molène et d'Ouessant qui a motivé cette demande du gouvernement anglais.
    (source La Dépêche de Brest 01/05/1897)

2-1. Commémorations du centenaire du naufrage

En 1996, le centenaire du naufrage du Drummond Castle fut commémoré sur Ouessant et Molène. Représentants des États français et britannique étaient présents avec des descendants des rescapés. La reine Élisabeth II du Royaume-Uni a offert aux Molénais un drapeau britannique, en signe d'amitié envers l'archipel et ses habitants.

(Rubrique à compléter. Demande de contribution. Photos, récits, n'hésitez pas..)

 XII - LE MUSÉE & L'ÉPAVE DU PAQUEBOT

1 - LE MUSÉE

Visitez le musée du Drummond castle !


Un musée a été créé il y a quelques années (situé à coté de la Poste, derrière la Mairie), pour ne jamais oublier cette terrible tragédie du 18 juin 1896, le dévouement et le remericement de ces îliens liés à tout jamais avec la population britannique. Il a été rénové en 2016 et désormais accessible aux personnes à mobilité réduite.

Vous pourrez y admirer le mécanisme de l'horloge, voir les différents objets remontés de l'épave, les articles qui ont été cités ici, des maquettes, des portraits, les manuscrits originaux, le drapeau anglais offert par la reine en 1996,...
La visite est libre, mais nous vous conseillons la visite guidée et contée avec passion par le guide Gérard Caraven ! (sur réservation)

Ouverture tous les jours sur demande à partir de 14h30. Téléphone du guide : 06 52 57 18 56. Tarifs : 3€/personne (4 personnes minimum) Renseignez-vous...

Quelques vues du musée du Drummond Castle à Molène Photos©2011 S.Cuillandre

2 - L'ÉPAVE DU DRUMMOND CASTLE

l'étrave drummond castle Otruquin

COMMENT ON TROUVA L'ÉPAVE :

Il faut attendre le 26 juin 1896, soit 10 jours après le naufrage, pour que l'on entende parler de "localisation de l'épave" de Drummond Castle. La paternité de cette découverte sera chauvinement disputée entre le pêcheur Mathieu Jézéquel d'Ouessant et Mathieu Masson de Molène, notre déjà célèbre sauveteur de Wood et de Godbolt. Tous deux affirment en effet avoir découvert, l'endroit exact où reposait le Drummond Castle. Aussitôt la nouvelle connue, les autorités françaises et brtitanniques se mirent de concert à organiser une expédition de recherches avec hommes et matériel de sondages. MM.Bonar (vice-consul d'Angleterre), Mirrielees et Widely (un directeur et un représentant de la Cie Currie) sont déjà sur nos côtes pour les cérémonies de remise de médailles.

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MM.Bonar, Mirrielees et Wiseley se sont rendus, mardi (30/06/96), à l'endroit où les patrons Masson, de Molène, et Jézéquel, d'Ouessant, avaient cru avoir découvert le Drummond-Castle. Ils ont fait le voyage sur le remorqueur Laborieux, en compagnie du pilote Malgorn, chargé par le préfet maritime de diriger les recherches. Un autre remorqueur, le Chameau, les avait précédés, avec des marins vétérans, des grappins et tous autres instruments nécessaires aux sondages.
On laissa tomber des grappins; ils s'accrochèrent aux mats et amenèrent, à la surface, un manchon de capelage en 1er, des morceaux de haubans et une pomme dorée de grand mât, avec sa tige de paratonnerre. La peinture de ces objets étant toute fraîche, et l'or de la pomme du mât ayant encore son brillant, on ne pouvait plus douter que le Drummond-Castle ne fût là, à 50 mètres sous l'eau, à trois milles et demi au sud du phare du Stiff, par 48° 25' 8" de latitude, et 7° 23' 45" de longitude.  On ne sait si, pour dégager les cadavres, la Compagnie fera sauter la coque du paquebot...
(...)
Une prime spéciale, en tout cas, sera donnée aux deux pécheurs qui ont décou-vert le gisement du paquebot. Tout le monde loue la générosité et les délicates attentions dont la Compagnie anglaise a fait prouve dans la circonstance.

L'étrave du Drummond Castle. Photo©2015 Jérôme Otruquin. Voir toutes les autres photos de Jérôme Otruquin sur cette page dédiée.

Après expertise des objets remontés, l'épave retrouvée à "34 brasses de profondeur" (34 Fathom soit un peu plus de 62m de profondeur) est bien celle du Drummond Castle. Les patrons Masson et Jézéquel seront gratifiés pour cette découverte "commune"...

Dans les années 1930...

L'épave fut à nouveau sondée dans les années 1930 par une société italienne, spécialisée dans la récupération de ferraille d'épaves, la Sorima. Malheureusement, les plongeurs de cette société employaient des techniques un peu lourdes pour accéder aux parties exploitables des épaves. Ils dynamitaient en effet les abords et obstacles gênants qui pouvaient empêcher la remontée de grosses pièces de l'épave... Le rayon d'éparpillement des morceaux de coque, des cheminées et autres hublots retrouvés posés autour de l'épave, ne fait aucun de doute sur la puissance et les conséquences de leurs déflagrations...

En 1979...

L'épave fut redécouverte par un couple de plongeurs locaux, Michèle et Jean-Marie Retornaz.
Passionnés par la plongée sous-marine et déjà habitués par la découverte d'épaves, ils décident en 1979, de chercher l'épave du Drummond castle, dans le dangereux secteur des Pierres Vertes. Lors de leurs nombreuses sorties, leur "technique de drague" est assez simple, mais s'avère un jour payante : ils utilisent un simple fil à plomb qu'ils trainent à l'arrière de leur embarcation et en remontant régulièrement le plomb, remarquent ou pas la couleur orangée laissé par de la rouille sur celui-ci.
C'est comme cela qu'ils ont un jour découvert l'épave du paquebot anglais ! On imagine aisément ce que furent leur excitiation, leur émerveillement, mais aussi leur émotion lors de cette première plongée sur la carcasse du géant posé là sous leurs masques, à 62 mètres de profondeur. Du rêve à la réalité, ce fut pour eux un aboutissement de plusieurs mois de travaux en mer, mais aussi dans les archives... Comme dans pareille circonstance, les époux Retornaz s'empressent de déclarer à la direction des recherches archélologiques sous-marines du ministère de la culture, leur découverte et deviennent ce jour-là les "inventeurs". Devant le caratère logiquement historique de cette découverte, ils demandent et obtiennent du ministère de la Culture une autorisation de "sondage sauvetage".  Celle-ci est obligatoire pour leur permettre de réaliser un premier travail d'inventaire à bord et de pour pouvoir remonter des pièces et des objets, vestiges avec interêt historique évident... Lors de leurs nombreuses plongées auto-financées sur ce paquebot, plus de 70 au total... ils remonteront tous ces objets, cettevaisselle, ces vases,... qui sont aujourd'hui pour la plupart exposés au musée de Molène ou encore au musée maritime du Cap-Sizun à Audierne

Plongée sur l'épave du Drummond Castle. Photo©Jacques Huitric

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De nos jours...

L'épave du Drummond Castle est cassée et très ensablée même si la forme du bateau est encore reconnaissable. L'étrave remonte de 4 mètres environ et possède toujours ses deux écubiers. Le pont ainsi que la quasi-totalité des flancs du bateau se sont effondrés et disparaissent parfois sous le sable ; des guindeaux, un tas de chaînes concrétionné ou des hublots sont visibles. Aux deux tiers arrière, les trois chaudières d'environ 4 mètres de diamètre, grâce à leur épaisseur, résistent assez bien à la corrosion. Vers la poupe, des amas de tôle cachent l'arbre d'hélice, mais l'hélice quadripale est toujours présente.
(Source : Wikipédia)

Nombreuses sont les explorations de l'épave en plongée, vous trouverez plusieurs vidéos sur le Web à ce sujet... Cependant, de par sa localisation (zone dangereuse des Pierres Vertes), sa profondeur (64m env.), la houle et les courants forts à cet endroit, cette plongée s'adressent aux plongeurs très expérimentés, suffisamment accompagnés sous l'eau comme en surface...

Vaisselle de l'épave exposée au mussée Drummond Castle de Molène. Photo©S.Cuillandre 2011